Si 2013 qui s'achève peut être qualifiée d'année terne de transition, celle qui commence le mois prochain sera à nouveau sans éclat, mais des décisions douloureuses devront impérativement être prises par la gent politique.

Lourd agenda américain

L'agenda américain sera lourd, dès janvier.

On aura alors pris la mesure des travaux du comité bipartisan du Congrès, mandaté pour produire un plan crédible de contrôle des dépenses à long terme.

Selon la teneur de leurs conclusions pour lesquelles on a de bonnes raisons de se montrer pessimistes, on saura dès le 15 janvier si le gouvernement américain doit suspendre ses activités, faute de financement, et comment se négociera le relèvement du plafond de la dette en cette année d'élections de mi-mandat.

«On va éviter le pire, mais ça va quand même coûter un demi-point à la croissance économique», estime Carlos Leitao, économiste en chef chez VMBL, qui présente le pronostic le moins reluisant pour l'économie américaine avec une croissance réelle de 2,7%, tout de même.

Elle ne se porte pourtant pas si mal. «Depuis neuf trimestres, la croissance moyenne annualisée est de 2,5%, fait remarquer Maurice N. Marchon, professeur titulaire à HEC Montréal. Si on exclut le frein gouvernemental, elle grimpe à 3,5%.»

Ce qui distingue maintenant les États-Unis des autres économies occidentales, c'est la robustesse de la demande privée, celle des ménages en particulier, «qui ont fait le ménage dans leurs finances personnelles», précise-t-il.

«On a vécu le pire, renchérit François Dupuis, vice-président et économiste en chef chez Desjardins. Néanmoins, la reprise restera très faible, très longtemps. Il est très difficile de prévoir ce qui nous attend dans trois ans.»

Stéfane Marion, stratège et économiste en chef à la Banque Nationale, se montre un brin plus optimiste même si la majorité des éemplois créés depuis l'été chez nos voisins sont à temps partiel. Cela explique la performance décevante de la consommation. Cependant, «il se créera beaucoup d'emplois dans le secteur manufacturier avec la révolution énergétique et le rapatriement de plusieurs productions». M. Marion en pressent beaucoup plus que ses collègues.

La politique monétaire

La nouvelle présidente de la Réserve fédérale Janet Yellen, qui entrera en fonction cet hiver, devra convaincre les marchés financiers que la réduction de la détente monétaire n'est pas synonyme de resserrement («Tapering is not tightening», selon la formule de son prédécesseur Ben S. Bernanke), contrairement à ce que bien des intervenants avaient compris au printemps. Ils avaient provoqué une hausse soudaine des taux obligataires à long terme.

Nos experts ne s'entendent pas sur la vitesse avec laquelle la Fed ralentira la planche à billets qui imprime 85 milliards par mois depuis un an. De quelques mois d'ici la mi-année jusqu'à tard en 2014.

Ils sont davantage d'accord sur le fait qu'une hausse du taux directeur américain n'est pas pour demain, peut-être pas avant 2016. Il fluctue dans une fourchette de 0% à 0,25% depuis le 1er décembre... 2008.

Entre-temps, tant la Fed que les autres banques centrales devront convaincre les marchés qu'un resserrement n'est vraiment, vraiment pas pour bientôt.

Quand on a épuisé presque toutes ses munitions, ne reste que ce que d'aucuns appellent «une démarche agressive de persuasion morale».

Les défis inédits du Canada

La révolution énergétique qui a cours aux États-Unis oblige le Canada et sa société distincte, le Québec, à remettre en question leur politique de développement et de commercialisation énergétique.

Sinon, le déficit du compte courant, dont le poids relatif au-delà de 3% du PIB excède celui des États-Unis, va continuer de se creuser et appauvrir un peu tout le monde.

Comme le Canada peut de moins en moins compter sur les capitaux étrangers pour financer ce déficit, les risques d'une dépréciation accrue de notre monnaie vont s'accentuer, à moins de trouver plus de débouchés pour le pétrole de l'Ouest canadien et le vendre à un prix qui se rapproche des prix internationaux.

«L'inversion de l'oléoduc d'Enbridge va se faire, croit Stéfane Marion. Sinon, c'est une très mauvaise nouvelle pour le Québec.»

«Vaut-il mieux acheter un pétrole sale du Maghreb qui circule sur le Saint-Laurent qu'un pétrole sale de l'Ouest?», se demande François Dupuis, tandis que Carlos Leitao rappelle que l'Est du Canada paye une facture pétrolière de 30 milliards à l'étranger qui aggrave le déficit du compte courant.

Pour les finances publiques, la révolution énergétique américaine a de graves conséquences. Il faut revoir ce qu'on peut espérer en revenus d'exportations d'Hydro-Québec et ajuster la production en conséquence.

En outre, le remplacement de l'éthanol produit à base de maïs par du pétrole de schiste fait chuter le prix des céréales des deux côtés de la frontière.

Bref, les prix de l'essence et des aliments diminuent. Une inflation faible améliore le pouvoir d'achat, certes, mais elle freine l'inflation et la croissance de l'assiette fiscale.

Et ce, au moment où le Québec est confronté à un double défi d'équilibre budgétaire et de décroissance démographique.

«Pour la première fois cette année, il y a eu 20 000 personnes en moins au Québec dans la cohorte des 24-55 ans», note Stéfane Marion. Et en plus, on a choisi de diminuer le nombre de nouveaux arrivants.

Une diminution de l'immigration, c'est moins de création de ménages, moins d'activité dans la construction résidentielle, la seule qui a créé beaucoup d'emplois, à part le secteur public, ces dernières années.

Bref, des choix difficiles attendent les élus.

«Le Canada et le Québec sont vulnérables, si les exportations ne se relèvent pas», croit François Dupuis.

Si Ottawa arrive à générer des revenus, Québec est aux prises avec un problème structurel. Ses recettes fiscales n'augmentent pas alors que ses dépenses ont crû de 3% à 4% par année durant les années qui ont précédé la récession.

«A-t-on besoin que tous les programmes soient universels?», se demande Carlos Leitao.

«Le Québec a un problème de réglementation excessive et de taille de l'État, davantage que de taxation», croit pour sa part Maurice Marchon. C'est ce qui décourage la création d'entreprises.

Le Québec aurait besoin de s'inspirer des meilleures pratiques internationales, de stimuler la concurrence dans le secteur public tout en comprimant ses dépenses.

S'il fallait, en plus, que le dollar canadien faiblisse davantage, l'appauvrissement à court terme qui en résulterait compliquerait encore le problème budgétaire alors que le potentiel de croissance économique réelle est au mieux de 1,5%.

Qu'est-ce que le compte courant?

C'est la mesure la plus grande des échanges économiques du Canada avec le reste du monde. Selon la définition officielle, il porte sur les transactions sur les biens, les services, la rémunération des employés, les revenus découlant des placements et les revenus secondaires (transferts courants).

Un solde négatif signifie que plus d'argent est sorti du pays qu'il en est entré. Financer ce déficit exige l'apport de capitaux, sinon, il y a dépréciation de notre monnaie, comme on l'observe depuis le début de l'année. Au troisième trimestre, le déficit annualisé du compte courant s'élevait à 62 milliards. Avant la récession, le Canada enregistrait un surplus, ce qui explique la remontée du huard, de 2003 à 2007.

Quelques risques

Malgré leur prudence, les pronostics de nos experts sont entachés de certains risques qui pourraient les faire déraper.

Maurice N. Marchon, professeur titulaire à HEC Montréal : Le dollar canadien pourrait trop se déprécier. Cela ferait baisser la valeur des actifs canadiens et refléterait une aggravation du déficit du compte courant.

Stéfane Marion, stratège et économiste en chef à la Banque Nationale : Une très faible inflation aggraverait l'état des finances publiques, affaiblirait le marché immobilier et les finances municipales.

François Dupuis, vice-président et économiste en chef chez Desjardins : Si le ralentissement de la détente monétaire américaine n'est pas réussi, il pourrait y avoir un krach obligataire, c'est-à-dire une poussée à 4% des taux sur l'échéance de 10 ans.

Carlos Leitao, économiste en chef chez VMBL : Les marchés financiers risquent de ne pas croire les banques centrales, surtout si on observe de la croissance. Il va y avoir beaucoup de volatilité.