En cette époque où les décideurs économiques canadiens n'ont d'yeux que pour la croissance, l'équilibre budgétaire et la maîtrise de l'inflation, militer pour le plein emploi paraît dépassé ou, au mieux, naïvement utopique.

Tel n'est pas l'avis toutefois de Diane Bellemare qui y voit plutôt un objectif susceptible d'assurer une prospérité durable.

«Les gouvernements doivent viser prioritairement l'emploi plutôt que la croissance du PIB, écrit-elle. Ce qui ne veut pas dire que la croissance économique ne doit pas être au rendez-vous. Au contraire, la croissance économique sera le résultat de la croissance de l'emploi.»

Dans son essai ambitieux et solidement documenté, Créer et partager la prospérité. Sortir l'économie canadienne de l'impasse, la sénatrice conservatrice remonte le temps pour exposer comment s'est bâtie la rémunération sociale au Canada. Depuis la sécurité de la vieillesse, en passant par l'assurance-emploi, les régimes de retraite publics et privés, tout est passé au peigne fin pour montrer que le système canadien est, somme toute, bancal, moins généreux et moins efficace que ceux d'une majorité de pays de l'OCDE.

Système de retraite

Elle s'en prend en particulier au système de retraite dont le volet public représente un poids relativement plus lourd pour les entreprises où se concentrent de faibles salariés.

Le volet privé devrait se limiter à être complémentaire. Pourtant, on a compté sur lui pour assurer le gros des revenus après la vie professionnelle. «Les entreprises n'ont pas rempli la mission que la société canadienne leur a confiée, car les salariés ne participent pas tous à un régime de retraite complémentaire», argue-t-elle.

Le poids du secteur privé dans les revenus anticipés de la retraite entrave la mobilité de la main-d'oeuvre.

Elle met en relief les obstacles créés par le partage jaloux des compétences entre Ottawa et les provinces qui freine la mise sur pied d'une rémunération sociale, à la fois cohérente et optimale. Elle préconise le transfert, après négociations, de l'administration de l'assurance-emploi aux provinces, tout en préconisant un mécanisme qui tient compte des disparités régionales en matière de taux de chômage et d'emploi.

«Les provinces peuvent faire mieux que le fédéral pour tenir compte de la diversité des besoins du marché du travail au Canada, s'attaquer à la faiblesse du taux de couverture du programme d'assurance-emploi et à son interaction avec les dépenses de l'aide sociale et résoudre la problématique du développement des compétences.»

Assurance-emploi

Elle passe toutefois sous silence la réforme récente de l'assurance-emploi pilotée par le gouvernement Harper qui suscite la grogne de plusieurs provinces, dont le Québec, et qui va plutôt à l'encontre de ce qu'elle préconise. Elle a aussi de bons mots pour le Plan d'action économique du gouvernement fédéral.

Dans son essai, elle suggère qu'on favorise davantage la reconnaissance des compétences et la formation en entreprises, toutes deux plus aptes à tenir compte des changements technologiques.

Elle propose même l'idée d'un compte individuel réservé à la formation continue qui serait financé «en mutualisant le coût annuel de cet investissement sous forme assurancielle» et assuré par des cotisations employés-employeurs.

Pour freiner la croissance des inégalités de revenus, elle préconise la progressivité des cotisations sociales: elles seraient proportionnelles au nombre d'heures travaillées, sans plafond.

Plein emploi

Le point d'orgue de son essai, c'est la recherche du plein emploi, qu'elle définit ainsi: «Où tous ceux et celles qui veulent travailler peuvent avoir accès à un emploi rémunéré dans un métier ou une profession pour lequel ils ont été formés, et ce, dans des conditions de travail décentes».

Un marché du travail à l'avantage des travailleurs favorise l'investissement en machine et équipement et, donc, les gains de productivité. Cela semble à contre-pied de ce que professent les ministres conservateurs actuels, bien que dénué de bon sens.

Elle souligne que c'est avant tout aux entreprises privées d'assurer la production et l'emploi, mais qu'il est rare que le secours de l'État ne soit pas requis, le plein emploi n'étant pas leur préoccupation.

Elle préconise enfin un vaste chantier politique où Ottawa et les provinces se donneraient des objectifs et des moyens institutionnels pour favoriser le plein emploi.

Encore faut-il qu'il soit réclamé: «Les gouvernements se mettent en action quand ils sont obligés de le faire à la suite de pressions politiques répétées ou encore de pressions budgétaires.»

Diane Bellemare. Créer et partager la prospérité. Sortir l'économie canadienne de l'impasse. Presses de l'Université du Québec. 252 pages.