Les sceptiques ont apparemment eu raison de penser que Prem Watsa ne parviendrait pas à fermer le capital de BlackBerry pour 9$ l'action, tel qu'annoncé le 23 septembre dans une lettre d'intention signée entre Fairfax Financial Holdings et BlackBerry (T.BB), qui valorisait la compagnie à 4,7 milliards.

Au lieu d'annoncer sa vente, BlackBerry a indiqué hier qu'elle allait amasser 1 milliard de dollars grâce à un placement privé d'obligations convertibles en actions au prix de 10$.

Les obligations seront achetées par un groupe d'investisseurs institutionnels mené par Fairfax.

Principal actionnaire de BlackBerry, Fairfax aura aussi la possibilité d'acquérir des obligations convertibles supplémentaires d'une valeur de 250 millions.

L'action de BlackBerry a touché un nouveau creux des 52 dernières semaines durant la séance d'hier pour clôturer en baisse de 16,56%, à 6,75$, à la Bourse de Toronto. 

BlackBerry a par ailleurs annoncé le départ du PDG Thorsten Heins. Sa crédibilité a assurément souffert du fait qu'il était à la barre pour lancer le décevant téléphone BB10. Il est remplacé sur une base intérimaire par l'ex-PDG de Sybase, John Chen.

Voici quelques réactions d'analystes:

Kris Thompson, Banque Nationale

«La troisième tentative de redressement n'a pas fonctionné. Plusieurs acquéreurs potentiels ont regardé ce qui se trouvait sous les draps, mais ils n'ont pas aimé ce qu'ils ont vu. Un milliard de dollars est maintenant injecté, ce qui laisse entendre que les 2,6 milliards de liquidités qui étaient disponibles à la fin d'août ne suffisent pas. Les investisseurs doivent s'attendre à une très mauvaise performance financière au cours des prochains trimestres. Attendez-vous à un nombre d'abonnés en baisse, à des départs d'employés, à des pertes de parts de marché, etc. Trouver un nouveau PDG sera par ailleurs une grosse commande. Ma nouvelle cible est de 3$.»

Stuart Jeffrey, Nomura

«Le placement privé d'un milliard m'indique que l'entreprise tente de se bâtir un trésor de guerre pour faire face à une période prolongée de dépenses qui financera une importante restructuration, ce qui débouchera sur plusieurs trimestres de pertes d'exploitation. Tant que BlackBerry continuera de vendre des combinés à un prix inférieur au prix coûtant, qu'elle ne pourra stopper le déclin des revenus tirés des services et qu'elle continuera de perdre des abonnés, je ne vois pas de raison de détenir le titre. Je ne sais pas non plus comment on peut calculer un prix plancher pour l'action dans ce contexte.»

James Faucette, Pacific-Crest

«Fairfax n'a pas su convaincre des partenaires qu'il y avait une valeur substantielle de propriété intellectuelle non réalisée. Le placement privé d'obligations convertibles est relativement peu risqué et représente une bonne affaire pour Fairfax et les banques. Il y a fort à parier qu'en cas de liquidation de la compagnie, on obtiendra au moins un milliard de la vente d'actifs. Et avec un taux d'intérêt de 6% sur les obligations convertibles, Fairfax et le groupe d'investisseurs vont obtenir au moins 60 millions par an en revenus d'intérêt tout en étant les premiers à se faire rembourser en cas de faillite.»

Richard Tse, Cormark

«Les nouvelles sont mauvaises. Fairfax n'a pas été en mesure d'amasser le financement nécessaire pour acquérir l'entreprise. Et le fait qu'il n'y a pas d'autres offres est révélateur. Cela dit, tout a un prix, et un repli suffisamment prononcé de l'action risque d'amener quelqu'un à faire un geste. C'est cependant un jeu risqué et compte tenu de la volatilité, je préfère observer les choses à titre de spectateur. Sans offre d'achat, BlackBerry va maintenant se restructurer de façon plus énergique encore.»

Michael Genovese, MKM Partners

«Attendez-vous à ce que BlackBerry recentre ses activités. À mon avis, la compagnie serait mieux servie en se concentrant de façon prioritaire sur les marchés émergents. Je doute par ailleurs que les nouvelles obligations émises soient un jour converties en actions et je me questionne aussi sur la demande pour les obligations non achetées par Fairfax. En fin de compte, les nouvelles du jour sont négatives pour BlackBerry et ses actionnaires parce qu'en étant retirée de la Bourse ou rachetée, la compagnie aurait eu une opportunité de se redresser sans la pression des résultats trimestriels et des marchés financiers.»

Michael Walkley, Canaccord/Genuity

«La vente de l'entreprise n'est plus imminente. La direction de BlackBerry pourra profiter de cette injection potentielle de 1,25 milliard de dollars pour gagner du temps afin, notamment, de trouver des acquéreurs potentiels. Toutefois, étant donné que la compagnie avait embauché des banquiers pour étudier les options stratégiques il y a plus d'un an déjà, je crois que l'entreprise sera éventuellement vendue en pièces détachées.»

De la renommée à la déroute

BlackBerry a finalement choisi de rester en Bourse et de ne pas se vendre à son principal actionnaire, Fairfax, nouvelle étape dans l'histoire courte et mouvementée du fabricant du célèbre téléphone intelligent.

1999: sortie du premier appareil de la marque BlackBerry, un module mobile de transmission de données par radio réalisé par la société canadienne Research in Motion (RIM), créée en 1986.

2001: premier Smartphone BlackBerry avec voix et données s'appuyant sur les normes GSM et GPRS.

Octobre 2007: BlackBerry compte plus de 10 millions d'abonnés, quelques mois après le lancement du premier iPhone d'Apple.

Février 2009: La barre des 50 millions d'abonnés est franchie et pourtant, les nuages s'amoncellent. Avertissement sur les bénéfices et chute de l'action.

Octobre 2011: Plusieurs jours de pannes majeures touchent des millions d'utilisateurs en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique, en Inde, au Brésil, au Chili et en Argentine.

Entre janvier et fin octobre, l'action perd près des deux tiers de sa valeur.

Janvier 2012: Les deux fondateurs de RIM et co-PDG, Jim Balsillie et Mike Lazaridis, démissionnent.

Entre mars et mai 2012: Le groupe RIM annonce des pertes, des licenciements, un plan d'économies et le nouveau patron Thorsten Heins annonce une «révision globale» de la stratégie, envisageant des partenariats ou des ventes de brevets, voire une cession pure et simple.

30 Janvier 2013: Lancement du BlackBerry Z10, censé être l'appareil qui va sauver le groupe RIM qui prend au passage le nom de BlackBerry.

Avril 2013: Échec commercial, le groupe glisse au 4e rang des systèmes d'exploitation installés dans des téléphones derrière les systèmes Android, Apple et Microsoft.

12 août 2013: Un comité spécial est chargé d'étudier la vente.

20 septembre 2013: Le groupe annonce la suppression de 4500 emplois, soit 40% de ses effectifs, et une perte de près de 1 milliard de dollars pour son deuxième trimestre.

23 septembre 2013: Proposition d'achat du financier Fairfax, premier actionnaire avec 10% du capital, à 9 dollars l'action.