Décidément, les banquiers centraux ne sont pas à la veille d'envisager des resserrements monétaires de quelque nature que ce soit, tant est encore fragile la croissance économique et faible l'inflation au sein des économies avancées.

Après la Réserve fédérale américaine (Fed) la semaine dernière et la Banque du Canada il y a une quinzaine qui ont réaffirmé leur volonté de se montrer encore exceptionnellement accommodantes, la spéculation va maintenant bon train sur l'attitude qu'adopteront jeudi la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque d'Angleterre.

Alors que la zone euro est sortie au printemps d'une longue récession de six trimestres, le taux d'inflation vient de redescendre à son niveau le plus faible en quatre ans, à 0,7% le mois dernier, en baisse pour un septième mois d'affilée. La décélération de la mesure du coût de la vie commence à inquiéter. Le risque de déflation est de nature à compromettre la très fragile reprise. La BCE vise un taux d'inflation qui avoisine 2%, sans le dépasser.

Cette cible ressemble à celle de la Banque du Canada, qui s'inquiète aussi du fait que l'indice des prix à la consommation (IPC) persiste sous les 2% cette année. En septembre, l'indice se situait à 1,1% seulement. Cela a conduit les autorités monétaires à abandonner leur penchant pour une hausse éventuelle du taux directeur, qui est fixé à 1% depuis septembre 2010.

Des spéculateurs ont commencé à gager sur une baisse éventuelle des taux d'intérêt au Canada, bien que les données sur la croissance solide en août, publiées la semaine dernière, aient refroidi leurs ardeurs quelque peu. À cela s'ajoute la progression de l'indice des décideurs d'achats (PMI) du secteur manufacturier canadien, qui a atteint le mois dernier son point le plus élevé en deux ans et demi. La spéculation pourrait se ranimer si, vendredi, les données sur la création d'emplois d'octobre devaient décevoir.

Dans la zone euro, le taux cible de la BCE se situe à son creux historique de 0,5%. Beaucoup d'observateurs s'attendent à ce que son président Mario Draghi annonce jeudi qu'il l'abaisse à 0,25%, un taux qui risque cependant de faire sourciller la rigide Bundesbank. D'autres pensent plutôt que l'allégement monétaire passera par une nouvelle opération (la troisième) de refinancement à long terme des banques qui peinent toujours à faire crédit.

La restructuration du secteur bancaire européen est plus pénible économiquement que celle qui a eu lieu aux États-Unis, où 70% des besoins d'emprunts des entreprises sont comblés par les marchés financiers où se négocient billets de trésorerie, obligations ou débentures.

Pourtant, cela n'a pas empêché la Fed de lancer en septembre 2011 l'Opération Twist, qui consistait à troquer ses obligations du Trésor d'échéance prochaine contre d'autres à terme plus distant. En décembre 2012, elle a même recommencé à imprimer de l'argent dans le but d'infléchir les taux d'intérêt à long terme. Tout cela pour faciliter le crédit à la PME et aux ménages qui ne peuvent se financer en émettant des titres de dette.

En Europe, le crédit est avant tout assuré par les institutions financières, même celui destiné à la grande entreprise. D'où l'importance qu'elles puissent facilement prêter même quand elles poursuivent l'assainissement de leur bilan.

De l'autre côté de la Manche, la Banque d'Angleterre pourrait aussi se lancer dans une opération de ce type. Dans un discours coïncidant avec le 125e anniversaire du Financial Times il y a quelques jours, son gouverneur Mark Carney a suggéré que l'institution fondée en 1694 puisse prochainement prendre en pension (REPO) un plus large éventail de titres de qualité, de manière à stimuler la liquidité des marchés financiers. Le taux directeur de la Banque d'Angleterre est fixé à 0,5% depuis 2009. La Banque est aussi engagée dans un programme d'assouplissement quantitatif lancé par le prédécesseur de M. Carney, Mervyn King.

Les banquiers centraux n'ont pas jeté l'éponge même s'ils ont épuisé la quasi-totalité de leurs outils traditionnels. Il en sera ainsi tant que la croissance ne se suffira pas à elle-même.