L'entrée en Bourse du site de microblogues Twitter, qui pourrait intervenir dans les prochains jours, est la plus attendue aux États-Unis depuis celle du rival Facebook, le défi étant de mieux maintenir que lui cet engouement sur la durée.

Aucune date n'est fixée officiellement pour les premiers pas du titre «TWTR» au New York Stock Exchange (NYSE), mais les spéculations s'orientent vers le 7 novembre.

Le rebond récent de Facebook, après le désastre de sa propre introduction en Bourse l'an dernier, rend le climat boursier plus favorable aux sociétés de l'internet.

Facebook cumulait les handicaps avec «un marché d'entrées en Bourse surchauffé, une offre à prix élevé, un volume massif de titres, le tout exacerbé par un problème technique historique», indique à l'AFP Lou Kerner, fondateur de la société d'investissement Social Internet Fund. «Cette conjonction d'événements ne devrait pas se reproduire».

Avec des recettes maximales envisagées de 1,6 milliard de dollars, dix fois moins que ce qu'avait levé Facebook l'an dernier, et une valorisation autour d'une dizaine de milliards quand certains analystes visaient le double, Twitter joue la prudence.

Parmi les analyses sur l'entreprise publiées ces derniers jours, celle du cabinet de recherche Pivotal estime ainsi que Twitter va continuer à croître plus vite que son grand concurrent, mais le voit arriver «en fin de compte à un tiers de la taille de Facebook» car son activité est davantage «de niche».

La force de Facebook, c'est son énorme vivier de plus d'un milliard de membres. Twitter n'en compte que 232 millions, mais s'est imposé comme un moyen de communication pour les vedettes de la musique et du cinéma, les sportifs, les hommes politiques, les médias ou les marques.

Twitter insiste sur cet aspect dans la vidéo préparée pour sa tournée auprès des investisseurs institutionnels la semaine passée, en rappelant quelques tweets marquants: ceux de Barack Obama, premier président à l'utiliser massivement et dont le message «quatre ans de plus» et la photo le voyant enlacer sa femme Michelle a fait le tour du monde; ou encore ceux de l'investisseur «activiste» Carl Icahn qui, pour maximiser la portée de ses actions, annonce sur Twitter qu'il a acheté des actions Apple.

Opportunités publicitaires, mais rentabilité incertaine

La maison de courtage Topeka voit en Twitter «un écosystème bien défini avec de forts effets de réseau (...) qui devraient conduire à des retours supérieurs à la moyenne pour les actionnaires dans les années à venir».

«L'échelle de Twitter et sa base d'utilisateurs très engagés créent des opportunités de grande valeur pour les publicitaires», souligne une autre maison de courtage, Sterne Agee.

Comme les autres services gratuits sur internet, Twitter tire ses revenus de la publicité, avec trois offres: l'annonceur peut «commanditer» un tweet (son message publicitaire apparaît dans le fil des utilisateurs), un compte (qui est intégré aux suggestions de comptes «à suivre») ou une tendance (le mot-clé concerné, ou «hashtag», renvoie dans ce cas sur ses propres messages).

S'il s'est partiellement mis à nu dans des documents boursiers, Twitter n'y divulgue pas qui sont ses annonceurs.

Certains analystes s'inquiètent aussi du poids de l'international, qui représente plus des trois quarts des utilisateurs et les plus grandes chances de croissance, mais rapporte moins de recettes publicitaires que les États-Unis.

«Beaucoup de marchés publicitaires internationaux ont des années de retard sur les États-Unis en termes de maturité du marché de la publicité numérique», souligne la société de capital-investissement spécialisée dans le secteur de la technologie et des médias Hillside Partners.

La rentabilité future de Twitter reste par ailleurs incertaine. Contrairement à Facebook à son entrée en Bourse, il a déjà su négocier le virage du mobile. Mais il accumule les pertes alors que le premier réseau social mondial dégage des bénéfices.

Parmi les autres risques pouvant rendre l'action volatile, Pivotal évoque aussi le possible besoin de liquidités supplémentaires après l'entrée en Bourse ou de nouvelles acquisitions pour rester concurrentiel sur le marché publicitaire.

Avec Twitter, le NYSE empiète un peu plus sur les plates-bandes du Nasdaq

En attirant la très attendue introduction en Bourse de Twitter, l'opérateur NYSE empiète encore un peu plus sur les plates-bandes de son rival Nasdaq, traditionnellement lieu de prédilection des sociétés technologiques.

Le Nasdaq, seule plateforme entièrement électronique à sa création en 1971, a longtemps tenu la corde au sein de la «nouvelle économie» face au NYSE, qui abrite la mythique salle de marché de Wall Street. De 2001 à 2010, quelque 260 entreprises du secteur technologique ou liées à Internet ont choisi de faire leurs premiers pas sur le marché via le Nasdaq, quand seulement 63 penchaient pour le NYSE, selon les données du cabinet Dealogic.

Mais depuis 2010, 61 sociétés ont sélectionné le Nasdaq quand 55 optaient pour le NYSE, dont quelques noms emblématiques comme LinkedIn, Yelp ou Pandora. Presque une égalité.

Pour les investisseurs, le choix importe peu puisqu'ils ont accès aux États-Unis à treize places boursières et à plusieurs dizaines de plateformes alternatives pour échanger les titres.

Mais pour le NYSE et le Nasdaq, être choisi par une entreprise permet, au-delà d'une question de prestige, d'engranger des revenus: les frais d'introduction en Bourse ont représenté au deuxième trimestre respectivement 11 et 13% de leurs chiffres d'affaires.

Aussi les opérateurs prospectent tous azimuts et «comme de plus en plus d'entreprises voulant entrer en Bourse proviennent du secteur technologique, NYSE va les chercher aussi», note Miranda Mizen du cabinet Tabb Group, spécialiste des marchés financiers.

Le Nasdaq conserve encore les plus grands noms du secteur technologique, comme Apple et Google.

Mais NYSE a franchi une étape cet été en attirant dans son giron le géant des logiciels Oracle.

Éviter le fiasco de Facebook

L'opérateur profite notamment du fiasco de l'introduction en Bourse en 2012 de Facebook sur le Nasdaq: la première séance avait été émaillée de nombreux problèmes techniques et le réseau social avait très vite vu le cours de son action s'effondrer.

Le défi pour Twitter étant «de se positionner comme l'antithèse de Facebook», il n'est pas surprenant que le réseau social ait choisi le NYSE, selon Gregori Volokhine, gestionnaire de fonds à Meeschaert Financial Services.

«Ils ne veulent pas trop faire monter les attentes, ils gardent un profil bas pendant leur tournée de présentation aux investisseurs alors que le roadshow de Facebook avait viré au cirque médiatique», ajoute-t-il.

Les acteurs du marché gardent également à l'esprit plusieurs incidents techniques récemment subis par le Nasdaq, dont un problème informatique en août qui l'a forcé à suspendre toute activité pendant trois heures.

NYSE n'est pas exempt de dérapages technologiques, et il a beaucoup investi pour développer ses capacités dans ce domaine.

Pour la première fois, l'opérateur a simulé une introduction en Bourse le samedi 26 octobre pour s'assurer que le moment venu, tout se déroule sans accroc pour Twitter.

La décision du site de réseau social de coter sur le NYSE «est la confirmation de notre transformation», s'est félicité l'opérateur. «Elle valide la solidité de notre réputation et de notre plateforme de marché».

Face à cette rude compétition, le Nasdaq n'est pas en reste. Une série d'entreprises ont aussi délaissé le NYSE à son profit, invoquant parfois des frais moins élevés, tels les hôtels Marriott, le groupe alimentaire Kraft Foods ou le fabricant de composants électroniques Texas Instruments.

«Nous nous sommes battus pour Twitter. Ils ont fait un choix», a admis Robert McCooey, responsable des introductions en Bourse à Nasdaq OMX.

Ce revers n'empêche pas «de rester convaincus que nous sommes le lieu le plus logique pour les compagnies technologiques», ajoute-t-il, car «elles peuvent côtoyer les entreprises de la même famille qui depuis 25 ans changent le monde.»