Il y a un analyste de moins qui suit Bombardier, Transat et Air Canada depuis quelques semaines.

Après 27 ans à couvrir principalement le secteur aéronautique et le transport aérien - et trois ans après avoir tenté de se lancer en affaires avec un des fondateurs de WestJet -, Jacques Kavafian a décidé de tout balancer pour aller tourner des boulettes de viande et servir de la poutine.

Ce Montréalais a ouvert le mois dernier un petit comptoir de restauration rapide en banlieue de Toronto. Il a déjà l'intention d'en ouvrir deux autres à Toronto l'an prochain et possiblement un à Montréal dans l'avenir.

Comme WestJet

Ses années passées à surveiller les activités d'Air Canada, Sunwing, Porter et des autres transporteurs lui ont été utiles pour préparer son changement de carrière.

«Je me suis inspiré du modèle WestJet pour élaborer mon plan d'affaires», dit Jacques Kavafian.

Le modèle de WestJet, lui-même calqué sur le succès obtenu par Southwest Airlines, s'articule autour de quatre éléments: un seul modèle d'avion, des bas prix, un bon service et rien de superflu (no frills).

En créant Fresh Burger, le financier devenu entrepreneur a ainsi misé sur la simplicité.

Au menu, vous avez le choix entre un hamburger avec fromage ou un hamburger double avec fromage. En accompagnement, c'est une frite ou une poutine.

«Je peux ainsi me concentrer sur ce que je fais de mieux. Une erreur commune à éviter est de s'éparpiller», dit Kavafian.

Tous les burgers sont servis de la même façon (sauce maison, fromage, oignons, laitue, tomates et cornichons) parce que «c'est la meilleure façon d'apprécier la recette» et parce que ça optimise l'efficacité du service.

C'est Jacques Kavafian qui prépare la sauce (inspirée de celle de la chaîne californienne In & Out), les patates sont épluchées à la main et la viande, jamais congelée, est passée au hachoir sur place.

Toutes les boissons sont en cannettes par ce que ça évite la gestion d'inventaires de gobelets et de pailles. «Et parce que c'est plus économique. Je suis un gars de chiffres et je tenais à pouvoir offrir toutes les boissons à 99 cents», dit celui qui mise sur un service rapide. «Tous les clients doivent être servis en sept minutes.»

Quand on lui demande pourquoi il se lance dans la restauration à l'âge de 53 ans, il répond qu'il est un grand amateur de burgers et de frites et qu'il ne voulait plus travailler très fort.

«J'ai beaucoup de plaisir. Ma femme et mon fils de 22 ans travaillent avec moi au restaurant et j'habite à trois minutes d'ici. Nous sommes fermés le dimanche, mais il nous arrive de venir manger ici le dimanche», dit-il en précisant qu'il avait planifié sa sortie du secteur financier depuis longtemps.

Déjoué par le tsunami

Il avait d'ailleurs tenté de se lancer dans les affaires il y a quatre ans en mettant sur pied Canadian Pacific Travel, une entreprise qui devait se spécialiser dans les voyages entre le Canada et le Japon.

Jacques Kavafian avait même quitté son emploi chez Research Capital tellement il croyait à ce projet. Pour l'appuyer dans son aventure, l'ex-chef des finances d'Air Canada, Robert Peterson, avait accepté de devenir chef des finances de Canadian Pacific Travel. Kavafian avait aussi convaincu un des fondateurs de WestJet, Mark Hill, d'embarquer dans l'aventure à titre de chef de l'exploitation. Il avait ainsi rallié avec lui deux anciens adversaires du secteur aérien.

«Tout était en place. Nous avions même un contrat avec Transat», raconte Jacques Kavafian, qui portait alors le titre de PDG.

Le tremblement de terre suivi d'un tsunami à Fukushima sont cependant venus tuer son projet et il est redevenu analyste dans le secteur du transport aérien à Toronto, mais cette fois, chez Toll Cross Securities. Il a remis sa démission l'été dernier pour se consacrer aux burgers.

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Jacques Kavafian

Âge: 53 ans

Études universitaires: McGill

Fondateur et propriétaire de Fresh Burger

Son parcours en finance:

> Toll Cross Securities 2012-2013

> Research Capital (Mackie) 2004-2009

> Octagon Capital 2002-2004

> Yorkton Securities 1999-2002

> Research Capital 1996-1998

> Lévesque Beaubien 1990-1995

> McNeil Mantha 1989-1990

> Midland Doherty 1988-1989

> McLeod Young Weir 1985-1988

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Ces analystes qui quittent leur poste

Jacques Kavafian n'est pas le seul analyste à avoir décidé de quitter son poste pour regarder ailleurs.

Claude Proulx (qui suivait GENIVAR, SNC-Lavalin, Transat, etc.) a quitté la BMO il y a deux ans pour aller travailler à la Caisse de dépôt.

Mike Abramsky, qui a longtemps couvert le secteur des technos (Apple et BlackBerry, notamment) chez RBC, est président d'Argus Software depuis près d'un an.

Un autre analyste du secteur des technos, Chris Umiastowski, a quitté la TD il y a deux ans et pris ce qu'il qualifie de «mini-retraite» pour, notamment, passer un peu plus de temps avec sa femme et ses deux filles.

Scott Cuthbertson, aussi de la TD, a quitté la banque l'automne dernier. Il couvrait le secteur des médias et il n'a toujours pas rebondi de façon officielle dans un nouveau poste.

Moins payant?

Chacun a ses raisons de regarder ailleurs. Mais Jacques Kavafian avance une explication qui en vaut d'autres.

«Il n'y a plus autant d'argent à faire aujourd'hui qu'il y a quelques années. Il n'y a pas si longtemps, un analyste pouvait espérer gagner entre 400 000 et 800 000$ par année avant de toucher les bonis. Dans les belles années des ressources naturelles, un analyste du secteur aurifère pouvait toucher beaucoup, beaucoup d'argent», dit-il.

«Aujourd'hui, il y a moins de financement à faire pour les entreprises. Il y a moins de transactions et les gens cherchent avant tout du rendement. Le contexte a changé.»

Jacques Kavafian explique aussi que l'horaire de travail d'un analyste est, de façon générale, de 7h à 19h. «Et c'est sans tenir compte des nombreux voyages. Un analyste est régulièrement appelé à se déplacer pour rencontrer des gens et visiter des installations.»

Martin Goulet a passé neuf années comme analyste en situations spéciales à la Financière Banque Nationale. Il a couvert des entreprises comme Couche-Tard, Sico et Stella-Jones avant de quitter son poste en 2007 pour se lancer dans les relations avec les investisseurs au sein du cabinet Maison Brison.

Il admet qu'il y a moins de sources de revenus pour les analystes aujourd'hui.

«Auparavant, il y avait beaucoup plus de relations entre le département de recherche et le département du financement des sociétés. S'il y avait une émission d'actions pour un titre suivi par un analyste, cet analyste touchait une commission», dit-il.

«De plus, quand j'ai commencé, les commissions sur les transactions institutionnelles étaient beaucoup plus élevées.»

Martin Goulet trouvait par ailleurs qu'il devenait difficile de se démarquer.

«À deux analystes sur Couche-Tard, il y avait moyen d'ajouter de la valeur. À 10 analystes, c'est différent. Et je trouvais que le marché était surévalué. Je n'avais plus aucune recommandation d'achat à faire. Et quand on proposait d'amorcer la couverture d'une petite compagnie, on nous répondait qu'on ne ferait pas d'argent au niveau du financement», dit-il.

«Il n'y avait plus de belles compagnies dans des secteurs plates, ce qui était ma spécialité. Le temps était venu de passer à autre chose.»

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À lire dans La Presse+: 10 questions à Jacques Kavafian

Photos Nick Kozak, collaboration spéciale

Ancien analyste financier, Jacques Kavafian a ouvert le restaurant Fresh Burgeren banlieue de Toronto et souhaite poursuivre l'aventure à Toronto et même à Montréal.