Votre historique de navigation internet. Les émissions de télé que vous visionnez. Vos habitudes d'appels téléphoniques. Si vous êtes client de Bell, ces informations personnelles pourraient bientôt être collectées et partagées avec d'autres entreprises - une nouvelle pratique qui, selon des experts et organismes de défense des consommateurs, soulève des doutes quant à sa légalité.

La société Bell a annoncé à ses clients qu'à compter du 16 novembre, elle allait collecter et partager les renseignements de ses clients avec des tiers, notamment à des fins de marketing. Les clients qui le souhaitent peuvent choisir de ne pas recevoir de «publicités ciblées», mais on ne sait pas trop s'ils peuvent empêcher la collecte et le partage de leurs habitudes de consommation.

«Dans le cas de Bell, à notre avis, le consentement ne correspond pas à ce que demande la loi. On se pose la question, il y a beaucoup de questions qui se posent», a dit à La Presse Isabelle St-Pierre, responsable des communications à la Commission d'accès à l'information du Québec.

La loi permet aux entreprises de collecter et de partager les renseignements personnels de leurs clients, mais elles doivent d'abord obtenir leur consentement. Or, chez Bell, un client qui ne se manifeste pas souscrit automatiquement à la nouvelle politique.Cette politique stipule que toutes les informations sur l'utilisation des produits et réseaux de Bell - pages web visitées, contenu télé visionné, habitudes d'appels - seront recueillies pour «créer des rapports d'affaires et de marketing». Bell indique que ces rapports seront «destinés à notre usage personnel» ou «partagés avec d'autres». L'entreprise affirme que les données serviront à offrir de la publicité ciblée aux clients ou à «améliorer la performance du réseau».

Interrogations

Les organismes Option consommateurs et Union des consommateurs s'interrogent aussi sur la légalité de la nouvelle politique de Bell.

«On est très déçu de la façon de faire de Bell. Ça serait intéressant qu'un juge se penche là-dessus, parce qu'on pense que ça soulève des doutes légaux», dit Philippe Viel, de l'Union des consommateurs. Selon lui, un de ces doutes est notamment lié au fait que Bell vient de modifier les contrats qui la liaient à ses clients.

Alexandre Plourde, conseiller juridique chez Option consommateurs, précise que la loi permet à Bell d'utiliser des renseignements obtenus avec le consentement des clients pour faire du marketing ciblé, mais que l'entreprise doit démontrer que cette collecte est «nécessaire» pour atteindre ses fins. «Ici, le caractère nécessaire m'apparaît discutable», souligne l'avocat.

Bell affirme qu'aucune information permettant d'identifier le client ne sera transmise à des entreprises autres que celles affiliées à Bell.

«Le nombre d'annonces que les clients verront n'augmentera pas, a spécifié Véronique Arsenault, porte-parole de l'entreprise. De plus, ils peuvent refuser à tout moment la publicité en visitant le site bell.ca/relevantads. Nous donnons à nos clients un préavis avant de commencer à leur offrir des publicités ciblées à compter du 16 novembre.»

«On s'entend que Bell possède beaucoup d'informations sur vous et qu'il est facile de recouper l'information. Ça donne un profil précis et des renseignements incroyables. Ça peut facilement mener à un bris de confidentialité», estime Mme St-Pierre, de la Commission d'accès à l'information du Québec.

John Lawford, analyste en télécommunications à l'organisme Seabord Group, juge aussi la politique de Bell «surprenante» et «obscure».

«À mon avis, ils patinent très près de la ligne de la légalité», déclare l'analyste. Il s'interroge notamment sur la collecte et le partage de ce que Bell nomme les «habitudes d'appels» téléphoniques qui, selon lui, sont considérées confidentielles par la loi.

«Il faudra voir ce qu'ils cherchent à faire exactement. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada et/ou le Commissaire à la vie privée vont devoir se pencher là-dessus», estime M. Lawford, mentionnant que l'avis de Bell à ses clients est incomplet et suscite beaucoup de questions.

Le Commissariat à la protection de la vie privée, un organisme fédéral, a affirmé ne pas avoir reçu de plaintes concernant la politique de Bell et a refusé de commenter le cas.

Rogers a dévoilé ce mois-ci qu'elle lancera un service permettant aux annonceurs de savoir où se trouvent ses clients munis de téléphones mobiles, ce qui permettra par exemple de leur envoyer des messages lorsqu'ils sont à proximité de leur commerce. Les clients qui souhaitent obtenir ce service devront en faire la demande.

«Vidéotron ne vend ni ne transmet aucun renseignement personnel sur ses clients à des organisations extérieures, y compris ses sociétés affiliées», a par ailleurs fait savoir le concurrent de Bell par courriel.