Les ententes particulières entre le gouvernement québécois et les entreprises pharmaceutiques au sujet du prix des médicaments sont peut-être inévitables, mais en aucun cas elles ne devraient être secrètes.

C'est un des éléments importants d'un projet d'entente-cadre que propose une professeure de droit pharmaceutique de l'Université de Sherbrooke, Mélanie Bourassa Forcier, dans un rapport publié aujourd'hui en collaboration avec le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).

Le but: la transparence

«Le but, c'est que le Québec soit la première province à avoir une entente-cadre et que ce soit la province la plus transparente», a déclaré Mme Bourassa Forcier dans une entrevue avec La Presse Affaires.

Cette transparence prendrait la forme d'un site internet qui ferait connaître le nom des médicaments faisant l'objet d'une entente et le type d'entente en question.

Toutefois, ce site ne ferait pas connaître le prix négocié par le gouvernement et les sociétés pharmaceutiques.

«Cela ne pourrait fonctionner pour des raisons de commerce international», a affirmé Mme Bourassa Forcier.

La chercheuse, qui a bénéficié de l'aide financière du CIRANO et de six sociétés pharmaceutiques pour effectuer sa recherche, en présentera les conclusions aujourd'hui dans le cadre d'une rencontre organisée par le CIRANO.

À son avis, les ententes de partage de risque sont inévitables.

«Présentement, nous payons soit plus cher que d'autres provinces pour inscrire certains médicaments, ou nous refusons leur inscription parce qu'ils sont trop chers» a-t-elle fait valoir.

Pour éviter les ententes ad hoc, Mme Bourassa Forcier a proposé un contrat-cadre très précis, qui ne laisse aucun détail juridique au hasard.

Selon elle, le processus actuel d'évaluation des médicaments devrait rester en place et les ententes devraient demeurer exceptionnelles. En outre, celles-ci ne devraient pas se limiter aux seuls médicaments contre le cancer.

«C'est une question d'équité», a-t-elle soutenu.

L'attachée de presse du ministre de la Santé et des Services sociaux Réjean Hébert, Ariane Lareau, a rappelé qu'il faudra faire des modifications législatives pour permettre les ententes d'inscription de médicaments.

«Mais au-delà de cela, le ministre parle de transparence et d'équité, a-t-elle ajouté. Il faudrait s'entendre avec l'industrie pour avoir un niveau de transparence, et il faudrait que les ententes bénéficient à l'ensemble des Québécois, tant les assurés du régime public que les assurés des régimes privés.»

Plus cher pour les régimes privés?

Cette question d'équité préoccupe tout particulièrement l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes (ACCAP). Elle craint qu'un rabais consenti au gouvernement n'ait des répercussions négatives sur les régimes privés.

«On peut penser que le médicament sera vendu à la clientèle privée à un prix qui permettra à la compagnie de récupérer le rabais consenti à la province», a déclaré Yves Millette, vice-président principal aux affaires québécoises à l'ACCAP.

L'association qui représente les entreprises de recherche pharmaceutique du Canada, Rx&D, a bien accueilli la contribution de Mme Bourassa Forcier au débat.

«Nous appuyons la conclusion du rapport qui recommande que le Québec se dote d'une politique claire et définie permettant d'encadrer la négociation et la mise en place d'ententes de partenariat entre le gouvernement du Québec et les entreprises pharmaceutiques pour l'inscription de médicaments et que ces dernières ne doivent représenter que l'exception», a fait savoir le président de Rx&D, Russell Williams, dans un courriel à La Presse Affaires.

--------------------

QU'EST-CE QUE LES ENTENTES DE PARTAGE DE RISQUE?

> Au cours des dernières années, plusieurs provinces autres que le Québec et des gouvernements étrangers ont négocié desententes de partage de risques avec les entreprises pharmaceutiques pour accélérer l'accès à de nouveaux médicaments et réduire les coûts des régimes publics d'assurance médicaments.

> Certaines ententes sont à portée clinique: un gouvernement peut ainsi décider de rembourser un nouveau médicament dont il n'est pas complètement certain de l'efficacité, à condition que la société pharmaceutique fasse un suivi auprès des patients pour consolider sa preuve.

> D'autres ententes sont à portée financière. Lorsque l'efficacité d'un médicament ne justifie pas un coût trop élevé selon l'Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESS), l'entreprise peut notamment négocier une entente de rabais-volume ou s'engager à investir dans la recherche ou dans un fonds d'innovation.

> En 2011, l'Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS) avait recommandé la mise en place d'un projet-pilote comprenant des ententes de partage de risque pour quatre substances anticancéreuses particulièrement chères. Le ministre de la Santé avait fini par inscrire trois des quatre médicaments sur la liste des médicaments remboursés sans négocier la moindre entente avec les manufacturiers, mais cela avait relancé le débat sur la pertinence de telles ententes. Selon l'INESSS, des ententes de partage de risque auraient permis au gouvernement d'économiser 10 millions de dollars dans ce cas précis.

> À l'heure actuelle, la loi québécoise ne permet pas les ententes liées à l'inscription sur la liste des médicaments remboursés par le régime public d'assurance médicaments.

Il peut y avoir des ententes entre le gouvernement et les fabricants pour atténuer les hausses de prix des médicaments ou pour partager les risques financiers, mais uniquement pour des médicaments déjà inscrits.

Au 31 mars dernier, le gouvernement avait conclu 68 ententes de ce genre au sujet de 979 médicaments. Les sommes reçues des fabricants n'étaient cependant pas considérables, soit moins de 15 millions de dollars.

-------------------

AGIR SUR LES PRIX DÈS LE DÉPART

Avant de chercher à négocier des ententes avec les sociétés pharmaceutiques, le Canada devrait modifier la façon dont il contrôle le prix des médicaments brevetés. «Ça enlèverait la raison d'être des ententes», affirme Yvon Millette, vice-président principal aux affaires québécoises à l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes (ACCAP).

L'ACCAP fait valoir qu'à l'heure actuelle, le Canada est au deuxième rang des pays de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) qui dépensent le plus en médicaments par personne, tout juste derrière les États-Unis.

Au Canada, un organisme indépendant créé par le Parlement fédéral, le Conseil d'examen du prix de médicaments brevetés (CEPMB), établit un prix maximal en se référant aux prix internationaux.

«Ce prix maximal se répercute tout au long de la vie du médicament, a déploré M. Millette. Il se répercute aussi sur le prix des médicaments semblables et sur celui des médicaments génériques, qui représente une fraction du médicament original.»

L'ACCAP voudrait que le CEPMB, plutôt que de simplement fixer un prix maximal, cherche à obtenir les prix les plus bas, en fonction des forces du marché.