Le lancement d'une OPA sur le néerlandais KPN par le mexicain America Movil marque peut-être le début de la concentration du secteur des télécoms en Europe, réclamée par les opérateurs européens affaiblis par une concurrence intense.

Cette offre hostile lancée par la société du milliardaire Carlos Slim brise un tabou, dans la mesure où elle vise un opérateur historique. Les acteurs du secteur se demandent maintenant si cette manoeuvre sera suivie d'autres cavalières prises de contrôle.

Le patron d'Orange, Stéphane Richard, n'y croit pas trop, car «les États sont encore présents au capital des grands opérateurs et feront barrage à des OPA hostiles», estimait-il fin juillet.

Mais d'autres s'attendent à un vaste mouvement de consolidation dans une Europe qui compte plus d'une centaine d'opérateurs télécoms.

Nombre de ces acteurs ne sont pas (ou plus) protégés par une présence publique à leur capital. L'État néerlandais s'était ainsi complètement désengagé du capital de KPN dès 2006.

«Aux États-Unis, il y a trois opérateurs majeurs pour tout le pays. En Europe, il y en a beaucoup plus, quatre rien que pour la France», souligne Guillaume Garabédian, analyste chez Meeschaert Gestion Privée.

Pour lui, cette situation pèse sur les entreprises françaises comme européennes. «Les valorisations ont clairement baissé ces dernières années en France dans un environnement très concurrentiel», explique-t-il.

«Globalement en Europe les valorisations sont assez faibles. Il y a le sentiment qu'on est incapable de valoriser la "data" (les données recensant l'activité des utilisateurs sur internet) en Europe alors qu'aux États-Unis et en Amérique latine, les opérateurs y parviennent et stabilisent les ARPU (revenu moyen par abonné, ndlr)», explique Alexandre Iatrides, analyste chez Oddo Securities.

«Il y a un évident besoin de consolidation en Europe», déclare pour sa part le patron d'un grand opérateur européen estimant qu'«on est allé trop loin dans la concurrence par les infrastructures».

Mais, si tous les grands opérateurs sont favorables à la concentration du secteur, ils doivent tenir compte de l'opinion de l'Union européenne.

«La grande question est de savoir si les autorités européennes veulent trois ou quatre opérateurs par pays. Pour l'instant, c'est quatre», indique M. Iatrides.

Et la situation ne semble pas prête à changer, car la Commission européenne, qui se dit favorable à la création d'un marché unique des télécoms, cherche avant tout à favoriser les consommateurs.

Neelie Kroes, vice-présidente de la Commission européenne, relevait ainsi récemment que les tarifs des télécommunications mobiles étaient encore trop divergents entre les 28 pays membres.

Mme Kroes présentera donc en septembre «un nouveau train de mesures visant à renforcer le marché unique des télécommunications».

Pour Bruxelles, priorité au consommateur

Des annonces attendues sans grand enthousiasme par les opérateurs européens.

«La politique consumériste à tous crins de Bruxelles affaiblit les opérateurs européens et déprécie leur valorisation boursière. Les trois grands opérateurs européens pèsent moins lourd en Bourse que le seul (numéro un américain) AT&T. Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner de voir Carlos Slim racheter KPN ou les grands opérateurs américains s'intéresser à des acquisitions à bas prix en Europe», déclarait, prémonitoire, M. Richard.

«L'aspect réglementation a vraiment grevé la croissance depuis 10 ans en Europe», souligne pour sa part M. Iatrides. «Avec les défis de la fibre et de la 4G, Carlos Slim et peut-être d'autres pensent que cela va changer», assure-t-il.

Cependant, l'arrivée dans un marché européen très contrôlé d'acteurs venant de pays où la régulation est beaucoup plus clémente ne se fera pas sans mal, car c'est un véritable changement de culture.

«Si jamais America Movil prend effectivement le contrôle de KPN, ce serait intéressant de voir comment ils s'adapteront à ce nouvel environnement !», ironise-t-on chez un opérateur européen.