Les États-Unis et l'Union européenne ont donné lundi à Washington un coup d'envoi discret aux négociations visant à créer l'une des plus grandes zones de libre-échange dans le monde, dans un climat assombri par l'affaire de l'espionnage américain qui fait l'objet d'une réunion distincte dans la capitale fédérale.

Le premier round de discussions a été officiellement ouvert vers 10 h 50 en l'absence des médias, par la représentation américaine au Commerce extérieur (USTR) et le négociateur en chef européen, Ignacio Garcia Bercero, un haut fonctionnaire de la Commission. Ce tour de chauffe sur une multitude de thèmes (marchés publics, investissement, propriété intellectuelle...) s'achèvera vendredi par une conférence de presse commune.

L'objectif de l'accord est ambitieux: éliminer l'ensemble des barrières, douanières et surtout réglementaires, qui entravent les échanges entre les États-Unis, première puissance mondiale, et l'Union européenne, son principal partenaire commercial.

«Un commerce libre et équitable de part et d'autre de l'Atlantique soutiendra des millions d'emplois américains bien payés», avait déclaré le président américain Barack Obama en février, amorçant le début de ce processus destiné à contourner l'impasse des discussions multilatérales à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Côté européen, ce nouveau marché de près de 820 millions de personnes est présenté comme un moyen de combattre la récession qui frappe la zone euro depuis six trimestres consécutifs.

«Nous sommes convaincus que cet accord commercial se traduira par davantage d'emplois et de croissance et nous aidera à sortir de la crise économique», a estimé dans un communiqué Karel De Gucht, le commissaire européen au Commerce, sans réaffirmer entièrement l'objectif d'un accord d'ici à la fin 2014.

Grosses frictions

Des deux côtés de l'Atlantique, chacun reconnaît que les chausse-trappes seront nombreuses. «Nous rencontrerons bien sûr beaucoup de problèmes et des obstacles mais si nous parvenons à un accord, il sera historique», a estimé M. De Gucht.

«Nous entamons ce processus avec pragmatisme. Nous savons qu'il y aura des défis» mais «nous devons résister à la tentation de revoir nos ambitions à la baisse et d'éviter des sujets de discussion dans le seul but d'arriver à un accord», a estimé le représentant spécial au Commerce extérieur, Michael Froman, dans un communiqué.

Au terme d'une intense bataille, la France a déjà obtenu à la mi-juin que le secteur audiovisuel soit pour le moment exclu des discussions, au prix d'un bras de fer avec la Commission européenne qui pourrait reprendre si le sujet revenait sur la table.

De nouvelles frictions pourraient surgir sur l'agriculture et notamment sur les organismes génétiquement modifiés (OGM), cultivés à grande échelle aux États-Unis et strictement régulés dans l'Union européenne.

Les Américains pourraient eux aussi défendre bec et ongles leurs secteurs protégés et notamment leur législation (Small Business Act, Buy American Act...) qui réserve certains marchés publics en priorité aux PME américaines, au détriment des entreprises étrangères.

«Nous sommes très inquiets de la volonté de l'UE d'ouvrir à la concurrence les marchés publics» a récemment déclaré à l'AFP Scott Paul, président de l'alliance manufacturière américaine (AAM), principal groupe de défense des intérêts industriels du pays.

Les révélations sur l'espionnage de bureaux de l'Union européenne par l'agence de renseignement américaine (NSA) ont rendu la situation plus électrique encore. Face au tollé, Paris a menacé de suspendre «temporairement» les discussions commerciales avant de se rallier à la solution prônée par Berlin de lancer les travaux sur l'accord commercial mais d'exiger en parallèle des «clarifications» de Washington sur l'espionnage.

En marge des négociations commerciales, Européens et Américains se sont donc retrouvés lundi dans la capitale américaine, au ministère de la Justice, pour tenter de crever l'abcès sur cette affaire d'espionnage, selon des sources proches du dossier.

D'après l'une d'elles, deux représentants de la Commission chargés de la sécurité intérieure et des droits fondamentaux ont entamé les discussions et devraient être rejoints par un représentant de chacun des 28 États-membres.

L'impact que pourrait avoir cette passe d'armes diplomatique divise les experts. «Les gouvernements de l'UE se doivent de montrer qu'ils s'opposent un peu aux États-Unis mais cela n'aura pas d'effet à long terme sur l'accord», selon Joshua Meltzer, de la Brookings Institution. À l'inverse, Gary Hufbauer, chercheur au Peterson Institute, prédit de «grosses frictions» sur les transferts de données personnelles, notamment bancaires.