La cueillette des fraises est l'un des rares emplois offerts aux jeunes adolescents, juste après la fin des classes. La tâche est difficile: il faut récolter près du sol, sous le soleil, pour 0,79$ le kilogramme. Dès l'été prochain, Québec obligera les producteurs à donner le salaire minimum aux cueilleurs, peu importe leur rendement. Progrès ou menace à la production de fraises du Québec, la plus importante au Canada?

Malgré le temps maussade qui ralentit le mûrissement des fruits, les premières fraises du Québec sont arrivées dans les marchés publics. La pluie n'est pas le seul souci des producteurs de fraises: ils s'inquiètent de devoir bientôt payer les cueilleurs au salaire minimum, plutôt qu'au rendement.

Cette année, cueillir des fraises rapporte 0,79$ du kilogramme, en hausse de 0,02$ par rapport à 2012. «Ça permet d'engager tout le monde qui est disponible quand les producteurs en ont besoin, même ceux qui vont cueillir un «crate» par heure», dit Caroline Thibault, directrice générale de l'Association des producteurs de fraises et framboises du Québec (APFFQ). Pendant le pic des récoltes de ces petits fruits, jusqu'à 6000 journaliers sont demandés aux champs.

Dès le 1er mai 2014, il faudra leur donner le salaire minimum, actuellement fixé à 10,15$ l'heure. Rien de tel n'est prévu en Ontario, où les cueilleurs continueront à être payés à la pièce. «Plus personne ne va vouloir engager des jeunes de 14 ans, prédit David Lemire, producteur de fraises à Trois-Rivières. Chez nous, un jeune peut prendre un break de 30 minutes s'il le veut. Ce n'est pas moi qui vais faire la discipline!»

Le tiers des producteurs pense arrêter

La rémunération au poids permet à la moyenne des cueilleurs d'atteindre ou de dépasser le salaire minimum. Si ce n'est pas le cas, les normes du travail considèrent que c'est «vraisemblablement l'état des champs qui les pénalise». L'employeur doit donc combler la différence. «Le record atteint chez nous l'été dernier, ç'a été une dame qui a fait 27$ l'heure, souligne M. Lemire. Ça fait 15 ans qu'elle cueille des fraises.»

S'il faut payer tous les cueilleurs au salaire minimum, 31% des agriculteurs cesseront la production de fraises, 30% la diminueront et 38% auront recours à la main-d'oeuvre étrangère, selon un sondage mené par l'APFFQ auprès de 55 producteurs.

Rencontre avec la ministre Maltais

C'est le précédent gouvernement libéral qui a décidé d'accorder le salaire minimum à tous les travailleurs, laissant trois ans aux employeurs pour s'adapter, fait valoir Mélanie Harvey, attachée de presse de la ministre de l'Emploi. Le cabinet d'Agnès Maltais a tout de même rencontré les producteurs à ce sujet, le 22 mai. «On a demandé à l'Association qu'elle partage avec nous ses données, afin qu'on sache véritablement quel serait l'impact sur les petites entreprises productrices de fraises et de framboises, indique Mme Harvey. On attend toujours leurs chiffres et leur étude d'impact.»

Au Québec, les cueilleurs de fraises et de framboises sont les derniers toujours payés en fonction du poids de leur récolte. Depuis 2010, cueillir des pommes donne droit au salaire minimum, comme les autres emplois agricoles.

Cueillir des fraises «est un job difficile, il ne faut pas se le cacher», reconnaît M. Lemire. «Va ramasser des fraises si t'as pas l'âge de travailler ou que t'es Mexicain, sinon fais pas ça, conseille un dénommé AllStar dans un forum de discussion. Ça ne rapporte pas, à part des coups de soleil.»

«Ce n'est pas bien payant, mais quand tu veux de l'argent, faut que tu travailles, répond un certain L'Scootz. Tu t'arranges avec ce que t'as par chez toi.»

LA CULTURE DE LA FRAISE

86%

Pourcentage des fraises consommées au Canada qui sont importées de Californie.

6000

Nombre de cueilleurs journaliers demandés dans les fraisières du Québec.

50%

Pourcentage que représente la main-d'oeuvre dans les dépenses d'une exploitation de fraises et framboises.

3,81

Consommation annuelle de fraises en kilos par personne en 2011 au Canada.

Sources : Statistique Canada, Association des producteurs de fraises et framboises du Québec (APFFQ), Profil sectoriel de l'industrie horticole au Québec 2012, et David Lemire, propriétaire de la Ferme horticole Gagnon.