C'est un coup fumant que vient de réussir Duchesnay, une petite entreprise pharmaceutique de Blainville qui fait son entrée dans les grandes ligues. Au terme d'une histoire abracadabrante qui s'étale sur des décennies, la boîte vient de faire approuver un médicament contre les nausées de grossesse aux États-Unis, un marché de plusieurs centaines de millions complètement vierge.

«C'est électrisant, a lancé hier Éric Gervais, vice-président directeur de Duchesnay. Tout le monde est tellement content. Ça fait tellement d'années qu'on attend ça et c'est tellement gros...»

Lundi soir, les autorités américaines ont annoncé qu'elles approuvaient la commercialisation de Diclectin, un médicament contre les nausées et vomissements qui touchent un grand nombre de femmes enceintes. Ce médicament est commercialisé au Canada depuis 35 ans, mais une drôle de situation engendrée par une série de poursuites aux États-Unis a eu pour effet de fermer le plus important marché de la planète pendant des décennies.

Après 18 ans d'efforts et des investissements de 30 millions de dollars, Duchesnay vient de rouvrir les portes de ce marché, un exploit qui pourrait bien transformer complètement l'entreprise. Notons que seule une poignée d'entreprises pharmaceutiques québécoises ont réussi à percer le marché américain.

Une véritable multinationale

«Dans le monde pharmaceutique, quand on vend seulement au Canada, on n'est sur le radar de personne. Ce que nous souhaitons maintenant, c'est que l'approbation américaine nous aide à trouver des partenaires étrangers en Europe, en Amérique du Sud, en Asie pour pouvoir vendre Diclectin dans ces marchés», explique M. Gervais.

En bref, après des décennies à desservir le marché canadien, Duchesnay aspire maintenant à devenir une véritable multinationale pharmaceutique.

L'entreprise, qui comptait 25 employés il y a à peine trois ans, a embauché d'un coup 85 personnes lundi soir en apprenant qu'elle avait le feu vert des autorités américaines. Elle avait déjà créé une société soeur aux États-Unis en prévision de l'annonce et recruté des représentants pour y vendre son médicament. Leur embauche était cependant conditionnelle à l'approbation du médicament.

La nouvelle créera aussi des emplois au Québec, où le médicament est fabriqué. Duchesnay a déjà fait grimper ses effectifs à 90 personnes à Blainville, et d'autres embauches devraient suivre.

Diclectin a enregistré des ventes de 25 millions au Canada en 2011. Selon M. Gervais, le marché américain est environ 12 fois plus gros, ce qui laisse présager un chiffre d'affaires annuel d'environ 300 millions. Même si Diclectin est un vieux médicament, Duchesnay a réussi à faire breveter la façon dont il est relâché dans l'organisme, ce qui lui assure l'exclusivité en sol américain jusqu'en 2021. Il y sera commercialisé sous le nom de Diclegis.

Des poursuites qui font peur

Le fait qu'aucun médicament contre les nausées de grossesse ne soit actuellement en vente aux États-Unis est le résultat d'une longue saga. En 1956, l'entreprise Merrell Dow y introduit Bendectin, un médicament basé sur les mêmes ingrédients actifs que Diclectin. L'entreprise essuie cependant un flot de poursuites engagées par des mères qui prétendent que le médicament cause des malformations chez les enfants. À l'époque, le scandale de la thalidomide, un autre médicament utilisé comme anti-nauséeux par les femmes enceintes et retiré du marché parce qu'il causait des malformations chez les enfants, est encore frais en mémoire.

Plutôt que de se lancer dans une coûteuse bataille juridique, Merrell Dow décide de retirer son médicament du marché en 1983.

«Les autres compagnies pharmaceutiques ont pris peur, raconte Éric Gervais. Et ça a eu pour effet général de freiner le développement de médicaments pour les femmes enceintes, parce que le risque légal est beaucoup trop grand.»

Duchesnay a pris le pari inverse et s'est spécialisée dans ce créneau. Au fil des ans, l'entreprise a investi des millions en recherche pour démontrer l'innocuité de Diclectin. Les efforts ont finalement porté leurs fruits cette semaine.

Duchesnay est soutenue financièrement par la famille Boivin, notamment connue pour avoir fondé Pro-Doc, une entreprise de médicaments génériques qu'elle a vendue à Jean Coutu en 2007.

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DUCHESNAY ET LA FAMILLE BOIVIN

Peu connue du public, Duchesnay est une petite entreprise pharmaceutique de Blainville qui n'est pas cotée en Bourse.

L'entreprise a été acquise en 1970 par le Groupe Pharmaceutique Boivin, une entreprise familiale connue pour avoir vendu l'entreprise de médicaments génériques Pro-Doc à Jean Coutu en 2007.

Vers la fin des années 80, un membre de la famille Boivin connait une grossesse difficile. La famille décide alors de changer la mission de Duchesnay, alors un distributeur de médicaments en vente libre, pour une faire une entreprise spécialisée dans le bien-être des femmes enceintes.

Duchesnay commercialise six médicaments, dont son produit phare, le Diclectin, contre les nausées et les vomissements des femmes enceintes.