Quand Margaret Thatcher s'installe au 10, Downing Street le 4 mai 1979, le néo-libéralisme est loin de triompher au Canada ou au Québec.

À Ottawa, Joe Clark s'apprête à former son éphémère gouvernement qui tombera au bout de six mois, tandis qu'à Québec, le gouvernement péquiste de René Lévesque discute de stratégie référendaire et de nationalisation de l'amiante.

Ce n'est qu'avec l'arrivée au pouvoir de Brian Mulroney, en septembre 1984, et de Robert Bourassa, en décembre 1985, qu'on mesure l'influence de la Dame de fer au Canada, tant par des vagues de privatisations que par la fragilisation de notre système bancaire, en ayant concouru par son entêtement idéologique à la faillite de l'empire immobilier torontois Olympia&York (O&Y).

Élu avec une majorité sans précédent, M. Mulroney lance un programme de privatisations qui paraît calqué sur celui de Londres. Mme Thatcher cède au secteur privé British Petroleum, M. Mulroney, Petro-Canada; Mme Thatcher, British Telecom, M. Mulroney, Teleglobe et Telesat; Mme Thatcher, British Airways, M. Mulroney, Air Canada.

Les privatisations canadiennes ne se déroulent pas toutes sans anicroche. Ainsi, c'est dans l'ahurissement général qu'Ottawa annonce que le petit équipementier électronique Memotec mettra la main sur le fleuron qu'est alors Teleglobe.

Il aurait été logique que l'entreprise qui assure les communications internationales par téléphone tombe aux mains de Bell. Bell se liguera plus tard avec la Caisse de dépôt et placement pour s'emparer de la majorité au conseil de Teleglobe et y installer Charles Sirois, qui pilotera malheureusement sa faillite en 2001-2002.

L'idéologie de Mme Thatcher a certainement inspiré M. Mulroney et le président américain Ronald Reagan qui ont signé en 1987 l'Accord de libre-échange. Elle aura aussi présidé au démantèlement du programme énergétique national de Pierre Elliott Trudeau.

Les libéraux de Jean Chrétien s'en sont inspirés aussi en signant l'Accord de libre-échange nord-américain et en poursuivant les privatisations, dont celle du Canadien National, en 1995, suivant d'un an celle de British Railways.

À Québec, Robert Bourassa marque son retour au pouvoir par une politique économique en rupture avec la précédente. Il nomme Pierre Fortier ministre des Privatisations.

M. Fortier en pilotera 23, depuis de toutes petites comme Madelipêche ou la raffinerie de sucre de Saint-Hilaire à de plus grosses comme Sidbec-Dosco, Cambior ou Donohue.

Certaines ventes n'ont guère causé de controverse. Pourquoi garder Quebecair, par exemple?

En revanche, le programme de privatisations a bien mal commencé et s'est mal terminé avec deux dossiers récréotouristiques. Dès 2006, Québec cède le Manoir Richelieu, à Point-au-Pic, à l'homme d'affaires controversé Rymond Malenfant qui refuse de reconnaître l'accréditation syndicale en place. S'ensuivra un dur conflit de travail qui fera un mort.

On apprendra par la suite que la vente de près d'un demi-million incluait les oeuvres d'art de l'établissement estimées à 300 000$ à elles seules. Après avoir fraudé le fisc, M. Malenfant sera acculé à la faillite.

En toute fin de mandat, les libéraux, alors dirigés par Daniel Johnson, ont aussi bradé le mont Sainte-Anne.

Pragmatique avant tout, M. Bourassa n'aura pas fait que des privatisations. Il a étatisé les services ambulanciers et nationalisé les chantiers maritimes.

Comme les libéraux à Ottawa, le retour des péquistes n'a pas mis fin aux privatisations. Pour diminuer son déficit, le ministre des Finances Jean Campeau a vendu en 1995 la part de 33% détenue par la SGF dans l'Aluminerie de Bécancour.

Mme Thatcher n'a jamais cru au rôle de l'État comme agent économique. Aussi s'est-elle toujours opposée au prolongement du métro de Londres par financement public dans le nouveau quartier Canary Wharf mis en valeur par la société torontoise O&Y.

Dans les années 80, c'était le plus grand chantier du monde. Faute d'accès facile, le chantier a entraîné la faillite d'O&Y lors de la récession de 1990-1991. Cinq des six grandes banques canadiennes avaient prêté sans garantie environ 3 milliards à O&Y. Les banques canadiennes n'ont jamais récupéré leurs billes. La Banque Nationale a même dû réduire de moitié son dividende à compter de 1993 et mettra des années à le rétablir.

Le quartier est relié par métro depuis 1999 et est devenu le deuxième centre financier de Londres, après la City.