Ils abordent des théories anticapitalistes dans leurs cours, font sourciller leurs collègues avec leurs déclarations publiques ou ont osé porter le carré rouge le printemps dernier. Rencontre avec des membres de l'autre HEC.

Souriant, le responsable de l'option Études organisationelles de la maîtrise en gestion de HEC Montréal, Jean-Pierre Dupuis, annonce la tenue d'un séminaire sur la décroissance soutenable dès l'automne prochain, une première dans l'histoire son université.

Dans ce cours, les étudiants réfléchiront à l'impératif de la croissance économique. Autrement dit, ils remettront en question l'une des bases du capitalisme, dans l'enceinte même d'une grande école de gestion. «Ce n'est pas un cours de propagande, avertit le professeur agrégé du service de l'enseignement du management, Yves-Marie Abraham, qui tient ce projet à bout de bras. On a eu de la chance que le séminaire soit accepté. Après tout, l'idée de la croissance est présupposée dans la majorité des cours de HEC.»

Le professeur formé en sociologie aux premier et deuxième cycles universitaires dit vouloir faire connaître «une autre façon de penser qui se tient». Un exemple? «La croissance économique s'appuie sur le progrès technoscientifique. Les machines, dit Yves-Marie Abraham, devaient réduire notre labeur. Mais plus ça va, plus elles réduisent plutôt notre autonomie. On peut choisir son modèle et sa couleur de voiture, mais on ne peut pas vivre sans voiture!»

La dépendance est très forte, selon le professeur, qui considère que cet asservissement va à l'encontre d'une des valeurs fondamentales de la modernité: la liberté.

«Ce n'est pas très straight dans notre département», lance son collègue Jean-Pierre Dupuis. Le sociologue et anthropologue de formation admet que plusieurs de ses pairs de l'option Études organisationnelles - dont 67% des étudiants proviennent des sciences humaines - sont des «excentriques» et des «originaux» du monde de la gestion. Ils constituent le «fonds de professeurs plus sensibles au social», comme il appelle les héritiers d'Esdras Minville, cet économiste engagé qui a dirigé HEC de 1938 à 1962. «Nous, on veut sortir du moule classique de l'entreprise privée et réfléchir à la gestion, affirme Jean-Pierre Dupuis. Toutes les organisations sont sommées de fonctionner à la manière d'une entreprise, y compris les universités.»

La rhétorique n'est pas nouvelle. Elle rappelle celle qu'ont dénoncée Jean-Pierre Dupuis et Yves-Marie Abraham en avril dernier dans la lettre ouverte «School as a business?», dans laquelle une cinquantaine de signataires défendaient la gratuité scolaire financée par un impôt «auquel les plus riches et les grandes entreprises ne pourraient plus aussi facilement se soustraire». Tous, y compris Roch Ouellet, dont la fille Martine est actuellement à la tête du ministère des Ressources naturelles, étaient professeurs, étudiants ou diplômés de HEC Montréal.

Des carrés rouges qui dérangent

«Le HEC n'est pas un bloc monolithique», rappelle l'étudiante à la maîtrise Gaëlle Généreux. Les carrés rouges qu'avaient épinglés Yves-Marie Abraham et un de ses collègues à leurs vestons l'an dernier le prouvent. «Il reste qu'un de mes collègues en économie, qui était l'un des auteurs du budget Bachand (ex-ministre libéral des Finances), m'a recommandé de démissionner au lendemain de la publication de notre lettre ouverte», se souvient Yves-Marie Abraham.