À 40 reprises en 2012, des entreprises pharmaceutiques américaines ont payé des fabricants de génériques pour qu'ils retardent la mise sur le marché... de génériques concurrents, une pratique dénoncée avec persistance par les autorités de la concurrence américaines.

Mais les fabricants de génériques répondent que les accords financiers sont un moindre mal, comme dans tout secteur où les brevets font l'objet d'intenses batailles judiciaires.

La Commission fédérale du commerce (FTC) indique dans son rapport annuel sur l'exercice prenant fin le 30 septembre 2012, publié jeudi, que 40 accords, portant sur 31 médicaments de marques, ont inclus le paiement de sommes aux fabricants génériques et des restrictions sur la date de mise sur le marché des versions génériques, forçant les patients à continuer de payer le prix fort.

La pratique, baptisée «payer pour retarder» («pay-for-delay»), n'est pas nouvelle mais a atteint un sommet en 2012, après 28 accords en 2011.

Les 31 médicaments concernés représentent 8,3 milliards de dollars de chiffres d'affaire annuel.

Pour les patients, la différence de prix peut atteindre 90% entre un médicament de marque et un générique, rappelle la FTC, qui estime que ces accords financiers retardent en moyenne de 17 mois l'arrivée des génériques concernés sur le marché, par rapport aux accords sans compensation financière.

En pratique, les fabricants génériques contestent les brevets d'un médicament plusieurs années avant leurs expirations de façon à être les premiers à en commercialiser une version générique. Souvent (140 fois en 2012), ils règlent le différend avec un accord pour éviter de longues procédures judiciaires à l'issue incertaine.

Une partie de ces accords (40) a un volet financier, ce qui selon le gouvernement s'assimile à une pratique anticoncurrentielle.

Verre à moitié plein

Selon la spécialiste du droit de la concurrence Eleanor Fox, professeur de droit à New York University, les accords concernent surtout des médicaments dont les brevets seraient «faibles» et difficiles à défendre.

«Le générique et le propriétaire du brevet se rendent compte qu'ils peuvent conjointement maximiser leurs profits, et le générique peut même gagner plus d'argent en se contentant d'accepter de ne pas faire concurrence», explique-t-elle à l'AFP.

Les fabricants de génériques voient le verre à moitié plein. Selon eux, un accord, même financier, vaut mieux qu'un long procès.

Si les accords étaient interdits, «cela pourrait mettre un frein aux contestations de brevets. Plus on limite les options des entreprises, plus elles se diront que cela ne vaut pas la peine d'essayer de casser les brevets», explique à l'AFP Greg Howard, porte-parole de l'Association des fabricants génériques (GPhA).

L'Europe fait face à des cas similaires mais à un degré moindre. La loi américaine incite en effet les fabricants génériques à développer leurs versions très tôt, car elle accorde au premier générique une exclusivité de 180 jours parmi les génériques. Il suffit au laboratoire de marque de «payer» ce premier concurrent générique pour bloquer tous les autres.

En Europe, plusieurs poursuites ont été abandonnées par la Commission européenne, notamment contre le britannique GlaxoSmithKline, mais d'autres restent en cours, notamment contre les laboratoires français Servier et danois Lundbeck.

Aux États-Unis, plusieurs tribunaux ont rendu des décisions contradictoires depuis plusieurs années, et la Cour suprême tranchera cette année dans un litige sur le médicament hormonal AndroGel, dont les génériques ne doivent voir le jour qu'en 2015.