Voici les réponses intégrales des huit économistes à nos quatre questions sur la politique monétaire en 2013 de la Banque du Canada, de la Réserve fédérale américaine, de la Banque centrale européenne et de la Banque d'Angleterre. Les questions ont été adressées par courriel, les réponses aussi.

Question 1

La Banque du Canada affirme toujours qu'une hausse modeste du taux directeur sera nécessaire « au fil du temps ». Pourtant, l'inflation est plus proche de 1 % que de 3 % alors que l'expansion canadienne paraît à bout de souffle. Est-ce que le successeur de Mark Carney sera obligé de changer ce biais légèrement haussier?

Sherry Cooper, vice-présidente et économiste en chef, BMO Marchés des capitaux: On s'attend à ce que la Banque du Canada maintienne son taux cible de financement à un jour à 1 % jusqu'à octobre 2013, à cause de la faiblesse de l'économie, une inflation sous la cible de 2 % et la force du dollar canadien. Toutefois, une amélioration de la croissance américaine devrait soutenir l'économie canadienne plus tard dans l'année, ce qui provoquerait une hausse d'un quart de point en octobre et plusieurs autres en 2014.

Craig Alexander, premier vice-président et économiste en chef, Groupe Banque TD: À moins d'un vacillement de l'économie intérieure canadienne qui laisse craindre une rechute en récession, le prochain geste de la Banque du Canada sera une hausse de taux. Compte tenu des perspectives modestes en termes de croissance, cette hausse n'est pas pour demain. Je ne m'attends pas à ce qu'elle intervienne avant la toute fin de 2013.

François Dupuis, vice-président et économiste en chef, Desjardins: Une croissance économique au Canada plus faible, en 2013, que la prévision de la Banque du Canada établie en octobre dernier et la confirmation au début de l'année du ralentissement au sein du secteur de l'habitation, qui apaisera les craintes concernant l'endettement des ménages, devraient amener la BdC à modifier, voire à retirer, son biais d'ici quelques mois.

Derek Holt, vice-président, études économiques, Banque Scotia: La Banque du Canada va maintenir le statu quo jusqu'au début de 2014. Le seul risque, c'est que cette prévision se réalise plus tard que prévu mais pas plus tôt. Nous nous attendons à une croissance faible, compte tenu des risques externes tels que la politique fiscale américaine, la valeur élevée de la monnaie et les déséquilibres internes sur le marché de l'habitation.

Carlos Leitao, économiste en chef, VMBL: Je ne crois pas. Pour que la Banque adopte un ton neutre, il faudrait que les États-Unis percutent le mur budgétaire et fiscal, augmentant du coup les probabilités d'une récession (chez eux et chez nous). Sinon, les risques persistants liés au niveau d'endettement des ménages devraient empêcher la Banque d'adopter un ton moins dur... tout en continuant de rappeler aux marchés que sa politique monétaire actuelle demeure très accommodante.

Stéfane Marion, économiste en chef et stratège, Banque Nationale: Un changement de ton vers un biais neutre nous semblerait approprié dans un contexte ou d'autres provinces (après le Québec) devront mettre en place des politiques de compression des dépenses et/ou d'augmentation des taxes (impôts) pour assainir leurs finances publiques. Un tel dénouement entraverait la croissance au moment où le prix de l'immobilier fléchit et où le dollar canadien demeure fort. En fait, une baisse des taux n'est pas à exclure au Canada en 2013.

Avery Shenfeld, économiste en chef, CIBC Marchés mondiaux: Puisqu'il s'agit du plus délicat des avertissements possibles qui suggère que les taux vont monter à un moment donné d'ici deux ans, il peut être maintenu tant qu'il n'y aura pas d'augmentation du chômage bien au-delà des 7,5 % ou de forte baisse de l'inflation de base. Ni l'une ni l'autre ne paraissent probables en 2013. Alors, même si le successeur de Carney ne hausse pas les taux avant 2014, comme nous le pensons, l'avertissement peut être maintenu.

Craig Wright, premier vice-président et économiste en chef, RBC: Notre scénario économique suppose que les taux d'intérêt au Canada vont devoir monter un jour. Nous prévoyons que l'expansion sera un peu plus rapide que son potentiel, ce qui va réduire la capacité excédentaire et pousser le taux d'inflation près de la cible de 2 % fixée par la Banque du Canada. Dans ce contexte, le taux de chômage va se rapprocher de sa moyenne à long terme. Pareil scénario économique s'accompagne en général de taux d'intérêt près de la normale. Si on peut débattre du niveau d'un taux normal, il ne fait pas de doute que la normale est plus élevée que le niveau actuel de 1 % du taux cible de financement à un jour. Nous nous attendons à ce qu'il soit fixé à 1,5 % à la fin de 2013.

Question 2

La Réserve fédérale multiplie les initiatives pour stimuler la croissance. Jusqu'où peut-elle aller sans créer de crise politique ou financière et jusqu'où va-t-elle aller en 2013?

S.C. La Réserve fédérale devrait conserver le taux des Fed funds près de zéro pour une cinquième année d'affilée en 2013 et entreprendre d'autres achats d'actifs pour infléchir les taux à long terme et favoriser un chômage moins élevé. Nous prévoyons que la Fed achète environ 80 milliards par mois en créances adossées à des hypothèques et à des obligations du Trésor en 2013. Elle va continuer d'acheter des actifs même si l'économie se renforce en fin d'année.

C.A. La Fed a clairement indiqué qu'elle allait acheter encore des obligations pour stimuler l'économie tant que le taux de chômage n'avoisinera pas les 6,5 % ou que l'inflation ne pose pas problème. Même si certains politiciens n'apprécient pas sa conduite de la politique monétaire, je crois que la Fed va rester indépendante et capable de la poursuivre comme elle le jugera bon. Je m'inquiète que ce stimulus énorme puisse créer un problème inflationniste, mais nous sommes à plusieurs années de ce risque.

F.D. La Fed a déjà grandement mis la table pour 2013 en annonçant, en décembre, de nouveaux achats de titres fédéraux qui compenseront la fin de l'Operation Twist. Le gonflement du bilan devrait se poursuivre jusqu'à la fin de 2013. La Fed a aussi modifié sa manière de communiquer le moment où ses dirigeants anticipent que la politique monétaire accommodante actuelle ne sera plus nécessaire. Cette approche conditionnelle qui repose davantage sur l'évolution du chômage ne change pas vraiment la donne, mais elle confirme qu'il n'y aura pas de relèvement des taux directeurs avant 2015.

D.H. La Fed paraît prête pour acheter encore 1000 milliards de créances adossées à des actifs hypothécaires et d'obligations du Trésor, l'an prochain. L'effet supplémentaire des rondes successives de détente quantitative diminue tant en ampleur qu'en durée. En conséquence, les marchés vont sans doute reporter leur attention sur la situation fiscale américaine et sur les fondamentaux de la politique monétaire. D'autant plus que ces derniers sont de nature à confondre les marchés.

C.L. Théoriquement, la Fed peut aller encore beaucoup plus loin (en achetant des titres pendant une période indéterminée, en finançant des prêts ou même en prêtant directement). En pratique, l'enjeu crucial demeure les attentes à long terme en matière d'inflation. Autrement dit, tant que celles-ci resteront bien ancrées, la Fed va maintenir le cap. Si les attentes augmentent de manière significative, la Fed ne changera pas nécessairement le cap, mais les pressions vont monter. Je crois toujours que la Fed de Bernanke va aller de l'avant malgré les pressions tant qu'elle juge que le PIB nominal ne dépassera pas, disons, les 3 %.

S.M. Selon nous, la Fed pourra continuer ses achats jusqu'à la fin de l'été prochain. Après cela, nous doutons de la poursuite de sa politique de détente quantitative étant donné que sa détention d'obligations du Trésor américain pourrait approcher les 40 % (concentration qui devient excessive). Dans ce contexte, la décision récente de la Fed de cibler le taux de chômage pour jouer sur les anticipations de marché était la bonne chose à faire (elle évite de mettre son bilan en péril à moyen terme).

A.S. La Fed peut maintenir une certaine détente quantitative en 2013, mais elle pourrait commencer à diminuer ses achats en fin d'année. L'opposition politique de certains congressistes mal avisés, qui craignent excessivement un risque d'inflation n'entravera pas la démarche de la Fed. Son défi viendra bien après 2013, quand elle devra correctement mettre fin à la détente quantitative pour contenir l'inflation quand l'économie sera beaucoup plus forte.

C.W. La Fed s'engage à maintenir sa politique très accommodante pour l'avenir prévisible, ce qui ne devrait pas changer l'an prochain. La Fed emploie plusieurs instruments monétaires tant conventionnels que non conventionnels: elle a baissé les taux d'intérêt à près de zéro; s'engage à les y maintenir tant que le taux de chômage ne sera pas descendu à 6,5 %, en plus de s'être lancée dans d'énormes achats d'obligations et de créances adossées à des actifs hypothécaires. Tant que la reprise et le marché du travail ne se seront pas améliorés de manière concluante, la Fed maintiendra le cap. Une fois qu'elle sera convaincue que l'économie est bien remise sur pied, elle aura un autre défi à relever: mettre fin à ses grands accommodements en haussant les taux, faisant dégorger le trop-plein de liquidités et en redonnant au bilan de la Fed une taille et une composition plus normales. La réussite ou l'échec de cette stratégie de sortie pourra entraîner un bouleversement politique et financier.

Question 3

La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé le 6 septembre son opération monétaire sur titres (OMT) illimitée des pays de la zone euro ayant du mal à se financer sur le marché. Les pays qui pourront en profiter devront cependant se plier à plusieurs conditions. Est-ce que ce programme se concrétisera en 2013 et quels pays demanderont l'aide de la BCE?

S.C. La BCE devrait diminuer son taux de refinancement d'un quart de point à 0,50 % en janvier et l'y maintenir toute l'année dans le but d'extirper la zone euro de la récession. Il est probable que la BCE achète des obligations des pays périphériques afin de diminuer les coûts d'emprunt de leurs gouvernements et de contenir la crise du crédit. L'Espagne a raté ses cibles de déficits budgétaires au cours des deux dernières années.

C.A. Je crois que l'Espagne aura finalement besoin de se prévaloir de l'OMT et que la dette gouvernementale grecque détenue par le secteur public devra être dépréciée. Bien que les finances publiques italiennes représentent un risque, je ne peux imaginer que la Péninsule ait besoin d'un programme de soutien financier ni de l'OMT.

F.D. Aujourd'hui, il apparaît de plus en plus probable que l'Espagne devra cogner à la porte des mécanismes d'aide européens, dont incluant l'OMT de la BCE. L'Espagne devra émettre beaucoup de dettes sur les marchés en 2013. La piètre performance de son économie, jumelée à la difficulté à réduire son déficit, réduira la demande pour les titres espagnols, ce qui exercera de nouvelles pressions haussières sur ses taux d'intérêt. Celles-ci seront insoutenables sans aide pour le gouvernement espagnol.

D.H. La BCE est, parmi les grandes banques centrales, celle qui affronte les défis les plus grands: un processus de correction de grands déséquilibres internes au sein de la zone euro étalé sur plusieurs années. Sans réformes substantielles, la BCE va hésiter à acheter les obligations d'un pays en particulier. Durant ce processus, son mandat sera substantiellement transformé pour lui donner des responsabilités d'encadrement des banques dans la zone euro.

C.L. Vers la mi-2013 ou quand l'union bancaire européenne paraîtra à portée de main. Le premier bénéficiaire de l'OMT devrait être l'Espagne (pour qui ce programme semble avoir été conçu...). Cela dit, l'Irlande et le Portugal sont aussi des candidats sérieux puisque ces pays sont déjà engagés dans de stricts programmes de réformes structurelles et que les autorités européennes pourraient désirer « récompenser » leurs efforts fructueux avec des taux d'intérêt beaucoup plus faibles. Ou plutôt, pour s'assurer que les réformes structurelles portent leurs fruits, les taux d'intérêt doivent diminuer en Irlande, au Portugal (et en Espagne).

S.M. Souhaitons que ça n'arrive pas. Si le programme se concrétise, c'est soit que la récession s'enlise, soit que les marchés financiers perdent confiance. Il faut profiter de la fenêtre actuelle pour mettre en place les réformes structurelles (marché du travail en particulier), qui permettront d'assurer croissance et stabilisation de la dette publique à moyen terme.

A.S. L'Espagne va éventuellement s'inscrire, mais elle devra s'engager à davantage d'austérité qu'elle en a prévu. L'OMT apporte peu d'avantages puisque l'Espagne aurait aussi accès au Mécanisme européen de stabilité pour l'aider à financer sa dette à long terme. Le danger de l'OMT, c'est que la BCE affirme qu'elle retirera son appui à un pays qui ne parvient pas à réaliser son plan d'austérité. L'Espagne a raté ses cibles de déficits budgétaires au cours des deux dernières années.

C.W. La combinaison d'un engagement inébranlable dans l'irréversibilité de l'euro, jumelée à l'OMT réduit considérablement la probabilité d'un effondrement catastrophique de l'euro. Il en résulte une diminution des coûts d'emprunt et des écarts pour les pays aux défis fiscaux les plus grands. La seule menace d'achats massifs par la BCE a suffi à écarter la nécessité d'agir. Cela dit, si un pays décide qu'il a besoin d'aide et se plie aux conditions de l'OMT, la BCE va certainement acquiescer à la demande.

Question 4

La Banque d'Angleterre aura un nouveau gouverneur et des pouvoirs accrus en juillet. Pour réparer l'économie et le système bancaire britanniques par où Mark Carney devra-t-il commencer?

S.C. La Banque d'Angleterre va sans doute conserver son taux directeur à 0,5 % en 2013. Elle va toutefois s'engager dans de nouveaux achats d'actifs afin d'infléchir les taux d'intérêt à long terme dans le cadre de sa lutte pour stimuler la croissance et de diminuer les effets de la consolidation fiscale.

C.A. L'économie du Royaume-Uni est très faible, son système bancaire vit d'énormes changements. Les institutions financières redressent leur bilan et s'ajustent à des changements de réglementation. Mark Carney a les compétences pour relever ces défis. Toutefois, il n'y a pas de panacée. La politique monétaire ne peut pas à elle seule tout régler. Je m'attends à davantage de stimulus de la Banque d'Angleterre. Je crois aussi que Mark Carney va apporter une grande contribution aux nécessaires réformes réglementaires.

F.D. Mark Carney devra expliquer clairement comment les questions de stabilité financière influencent la politique monétaire britannique et comment elles pourraient justifier le maintien d'une politique ultra accommodante malgré une inflation qui demeure obstinément au-dessus de la cible de 2 % (le dernier chiffre d'inflation est de 2,7 % en novembre). Il pourrait notamment modifier la façon dont la Banque d'Angleterre communique ses décisions et intégrer les enjeux de stabilité financière dans le cadre de la politique monétaire anglaise.

D.H. Quand Mark Carney assumera les fonctions de gouverneur de la Banque d'Angleterre en juillet, l'économie mondiale devrait aller mieux. À ce moment, la volonté d'assouplissement qui oriente les discussions sur des montants d'achats de titres, sur les taux d'intérêt, voire sur de nouvelles cibles, cédera le pas petit à petit sur des débats bien différents à compter de 2014.

C.L. Ce sera une tâche complexe, beaucoup plus en tout cas qu'au Canada. D'abord, M. Carney doit affirmer clairement que la politique monétaire doit rester accommodante tant que l'économie stagne ou demeure en récession, en dépit de l'inflation actuelle. Ensuite, pour qu'elle soit efficace, elle doit aller de pair avec la politique fiscale. En ce qui concerne le système bancaire, sa réforme est bien enclenchée sur le front intérieur. Le grand défi de M. Carney sera les activités bancaires de grossiste international au sein de la City.

S.M. Il devra commencer par aller visiter la reine pour la rassurer qu'il ne la « vieillira » pas autant qu'il l'a fait sur les nouveaux billets de banque canadiens (la reine fait plutôt jeune sur les billets de banque anglais actuels). Plus sérieusement, la Banque d'Angleterre a été la championne de la détente quantitative et son bilan est gonflé. M. Carney a déjà laissé planer l'idée que cibler le PIB nominal pourrait être une alternative pour ancrer les attentes de marché. Ce changement de stratégie nous semble approprié.

A.S. En ce qui a trait au taux d'intérêt, la faiblesse de l'économie européenne et l'austérité fiscale au Royaume-Uni auront sans doute conduit la Banque d'Angleterre en mode très accommodant au moment de l'entrée en fonction de Carney. En ce qui concerne le système bancaire, il devra mener la transition vers des normes de capitalisation plus strictes à un rythme que peut soutenir un contexte économique toujours faible.

C.W. Au début de son mandat, le gouverneur Carney aura deux priorités: favoriser une reprise économique solide et jeter les bases d'un système financier plus dynamique et plus résilient. Par rapport au Canada, les défis économiques britanniques sont plus grands tout comme l'est aussi l'austérité fiscale. La politique monétaire devrait continuer de soutenir les perspectives de croissance tant que l'économie se cicatrise. Le gouverneur va sans doute poursuivre sa conduite pragmatique de la politique monétaire, l'ajuster selon les besoins de l'économie tout en se montrant patient pour le retour de l'inflation à son taux cible. Il faudra du temps pour renforcer l'économie, rétablir la fiscalité à un niveau soutenable et mettre en place toute réforme de la réglementation.