Pour qu'une économie soit performante, il importe que ses entreprises optimalisent leurs ressources, à commencer par la mise en valeur des talents de leur personnel.

Or, celui des femmes, en particulier celles qui oeuvrent dans des fonctions administratives décisionnelles, reste encore bien sous-utilisé.

«La culture du milieu de travail est encore tributaire d'un modèle de carrière implanté dans les années 50 à une époque où les femmes s'occupaient des enfants à la maison, déplore Monique Jérôme-Forget. Le monde du travail ne s'est pas adapté à la présence accrue des femmes dans cet univers favorisant incontestablement les hommes.»

Dans son essai à la fois précis, concis et lumineux Les femmes au secours de l'économie Pour en finir avec le plafond de verre, celle qu'on a déjà surnommée la Dame de fer du Québec cerne bien ce modèle qui doit changer.

On juge la capacité d'une personne à assumer de plus grandes responsabilités à son assiduité, en particulier durant sa trentaine alors que commence l'ascension professionnelle. C'est précisément durant cette période de leur vie que les Québécoises mettent leurs enfants au monde et sont forcément moins présentes sur le marché du travail.

«Le fait même d'être mère sèmera un doute quant à la capacité d'une femme de s'engager pleinement dans sa carrière, écrit-elle. Un tel critère ne s'applique pas aux hommes, car la paternité est toujours perçue comme un signe de stabilité. C'est un double standard!»

L'ex-ministre des Finances et ex-présidente du Conseil du Trésor brosse un beau portrait statistique de l'avancée des femmes sur tous les fronts du marché du travail depuis quelques décennies.

Elle recense aussi les progrès accomplis pour que les femmes rattrapent les hommes dans leurs conditions de travail tout en rappelant la plus grande réalisation de son engagement politique: l'équité salariale dans la Fonction publique.

Constat

Un constat à la fois lucide et triste s'impose cependant à ses yeux: l'avancée semble s'essouffler au moment où «la présence accrue des femmes à tous les échelons de l'entreprise est la clé pour composer avec le défi démographique qui se profile à l'horizon».

Ainsi en est-il de leur très faible représentation aux conseils d'administration des entreprises privées, malgré le fait qu'elles sont désormais plus nombreuses à décrocher des diplômes universitaires.

C'est du talent gaspillé, clame-t-elle, parce que la conciliation travail-famille n'est pas reconnue comme une nécessité pour remplir les hautes fonctions de direction. Les femmes sont ainsi acculées à quitter l'entreprise, à privilégier la famille à la carrière, à ajuster leur niveau d'effort à celui des opportunités réelles d'avancement.

Règle générale, l'entreprise n'est pas prête à accueillir une femme au sein de sa direction après un congé parental. Encore moins de lui laisser miroiter une promotion.

Selon l'auteure, il subsiste des conceptions trop masculines de l'ambition, de la concurrence et du leadership.

Elle dénonce aussi la culture du Boys Club où sont valorisées des activités peu susceptibles d'attirer les femmes d'emblée, mais qui favorisent le réseautage des hommes.

Il en résulte une perte de compétitivité. «Remplacer un cadre d'expérience qui ne revient pas après un congé parental coûte cher, rappelle-t-elle. Le coût d'opportunité associé à la productivité anémique des femmes démotivées est plus élevé encore.»

L'essayiste rappelle qu'il ne suffit pas de nommer une femme ou deux dans des postes de commande ou au conseil d'administration pour que les choses changent. Il faut une masse critique qu'elle estime à 30% des fauteuils d'un C.A. par exemple. Elle associe la présence significative des femmes aux conseils à une meilleure gouvernance et à une plus grande unité de vision.

Afin de favoriser un rattrapage, plusieurs entreprises ont adopté une panoplie de mesures pour aménager le travail. Les plus efficaces sont celles qui répondent aux besoins spécifiques du personnel et sont susceptibles d'être adoptées à la fois par les femmes et par les hommes.

Les choses vont trop lentement toutefois, aux yeux de l'essayiste.

Obliger légalement les entreprises à favoriser l'accession des femmes à des postes de haute direction est-il envisageable? Pour l'auteure, cela ne fait aucun doute.

«Il faut que les gouvernements, tant au niveau provincial que fédéral, s'interrogent franchement afin de corriger cette situation, prône-t-elle dans l'ouvrage qui est lancé ce soir. Seule une action concertée, claire et courageuse saura la rectifier. Il faudra le faire non seulement pour assurer l'égalité entre hommes et femmes, mais aussi pour assurer la croissance économique du Québec.»

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Monique Jérôme-Forget. Les femmes au secours de l'économie. Pour en finir avec le plafond de verre. Stanké. 2012. 187 pages.

Monique Jérôme-Forget. Les femmes au secours de l'économie. Pour en finir avec le plafond de verre. Stanké. 2012. 187 pages.