Faisant fi des Cassandre qui annoncent la fin des quotidiens et des journaux à l'ancienne, le milliardaire américain Warren Buffett parie sur la presse écrite traditionnelle en injectant des millions de dollars par racheter des titres locaux à la pelle aux États-Unis.

L'an passé, l'investisseur le plus respecté des États-Unis a mis sur la table 300 millions de dollars pour investir dans ce secteur que beaucoup considèrent comme appartenir au passé.

La holding de M. Buffett, Berkshire Hathaway, a racheté fin 2011 le journal de la ville du milliardaire, l'Omaha World-Herald, aux côtés d'actifs liés pour 200 millions de dollars, une acquisition que certains analystes ont jugée alors purement sentimentale.

Le troisième homme le plus riche du monde, à la tête d'une fortune estimée à 44 milliards de dollars, a enchaîné avec une transaction à 142 millions de dollars le mois dernier pour racheter Media General, un groupe de médias de 63 journaux.

Il a aussi investi 2 millions de dollars dans Lee Enterprises, société mère du St. Louis Post Dispatch et de l'Arizona Daily Sun, ce qui s'ajoute à ses parts dans le Buffalo News et le groupe Washington Post.

«Je pense que les journaux qui ont une couverture locale extensive ont de l'avenir», a-t-il indiqué le mois dernier dans un message aux employés de Berkshire Hathaway.

Il a ajouté que Berkshire achèterait «probablement d'autres journaux dans les prochaines années», en privilégiant «les villes moyennes et les localités avec une identité forte».

Pourtant, les prévisions ne sont pas roses pour ce secteur qui a vu les ventes de ses éditions papier s'effondrer, tandis que ses services en ligne ne lui rapportaient que des revenus modestes.

Une note de recherche de l'agence de notation Moody's jugeait le mois dernier les perspectives du secteur «négatives». «Bien que les journaux tentent de capitaliser sur leurs éditions en ligne par divers canaux, il est improbable que ces gains soient suffisants pour compenser les pertes des éditions papier», soulignait l'analyste de Moody's John Puchalla dans cette note.

«Une transformation complète qui éliminerait complètement l'édition papier permettrait de faire d'importantes économies en matière de production et de distribution, mais la perte de revenus qu'il en résulterait est encore trop importante pour que les journaux s'y mettent», ajoutait-il.

Pour les analystes, Warren Buffett fait tout simplement ce qu'il a l'habitude de faire: parier à contre-courant sur un secteur plombé par des opinions négatives.

«Les journaux ne valent plus que 10 % de ce qu'ils valaient il y a dix ans», souligne Ken Doctor, analyste au cabinet de recherche Outsell, pour qui le milliardaire américain voit de la valeur dans ces journaux parce qu'ils possèdent souvent des biens immobiliers et des chaînes de télévision, et que leur marque est reconnue dans leur localité ou leur région.

«À la base, Buffett est un investisseur opportuniste», qui cherche «une société ou un secteur en plein marasme» et y voit la possibilité d'en tirer de l'argent, ajoute-t-il.

Mais pour que son investissement soit rentable, Warren Buffett va devoir trouver le moyen de réduire les pertes du secteur, et il a indiqué qu'il chercherait à définir une «nouvelle stratégie numérique» pour ses journaux.

«Nous devons réévaluer la réponse initiale du secteur à l'internet», a-t-il indiqué à ses employés. «La réaction instinctive initiale des journaux a été d'offrir gratuitement en ligne ce qu'ils faisaient payer sur papier. C'est clairement un modèle qui n'est pas viable et certains de nos journaux progressent déjà en passant à quelque chose de plus sensé».

Pour Ken Doctor, «il se pourrait bien qu'on découvre bientôt que Warren Buffett n'est lui aussi qu'un idiot qui croit avoir acheté suffisamment bon marché pour justifier son investissement. Ou alors, on pourrait bien assister au décryptage du code pour un nouveau modèle d'entreprises».