C'était au tour de l'Italie jeudi de prier l'Allemagne de reconsidérer son refus obstiné que le Mécanisme européen de stabilité (MES) puisse servir à recapitaliser les banques européennes chancelantes qui menacent la survie même de la monnaie unique.

«Des pays qui sont au coeur du système et qui ont le grand mérite d'inculquer la culture de stabilité au sein de l'Union européenne, l'Allemagne au premier chef, devraient y repenser deux fois et rapidement, a indiqué jeudi le premier ministre italien, Mario Monti. L'Europe doit accélérer ses efforts, comme le fait la Commission européenne, afin de limiter la contagion.»

La pression s'intensifie sur la chancelière Angela Merkel, prise entre deux feux: ses partenaires au sein de l'euro l'exhortent à faire preuve de souplesse pour permettre aux institutions européennes de s'engager davantage dans l'aide aux pays et aux banques les plus fragilisés tandis que les Allemands paraissent toujours plus froids à se porter garants des difficultés des autres alors qu'ils subissent eux-mêmes l'austérité de Berlin et des gouvernements régionaux pour restaurer leurs finances publiques.

«Les citoyens des pays en difficulté manifestent de plus en plus contre l'Allemagne et ses mesures d'austérité, notent Pierre Fournier et Angelo Katsoras, analystes géopolitiques à la Banque Nationale. Plusieurs pays dont l'Italie et la France pressent désormais l'Allemagne de moins prôner l'austérité et de se concentrer davantage sur des mesures de croissance.»

Jusqu'ici, l'Allemagne a échappé à la récession qui mord un peu partout en Europe grâce à une poussée de ses exportations en Asie. Mais l'économie chinoise ralentit et l'Europe, premier débouché des fabricants allemands, diminue sa consommation. L'Allemagne est en voie de souffrir de la récession de ses voisins aggravée par l'austérité qu'elle exige, analysent-ils.

L'Allemagne a beaucoup à perdre si l'Espagne n'arrive pas à renflouer ses banques de toute urgence. Environ 10% des créances et des réserves des banques allemandes sont libellées en titres espagnols, selon la Banque des règlements internationaux. Cela représente 186 milliards d'euros ou près de la moitié de leur capitalisation totale. 93% de la dette publique et privée espagnole est détenue à l'étranger, dont 672 milliards d'euros par des banques européennes.

On estime à quelque 150 milliards d'euros l'injection nécessaire à la recapitalisation des banques espagnoles, qui détiennent trop de prêts hypothécaires à risque.

Madrid n'est plus en mesure de fournir seul cet argent. Ses coûts d'emprunt sont devenus prohibitifs alors qu'il cherche à mutualiser les emprunts de ses provinces dans un nouveau produit financier, les hispanobons.

L'Union européenne suggère que le MES soit autorisé à injecter directement du capital dans les banques chancelantes en retour de postes aux conseils d'administration. Cela lui permettrait de faire le ménage et d'installer une culture de gestion plus prudente. Elle presse aussi la Banque centrale européenne (BCE) de relancer son programme de refinancement à long terme où les banques espagnoles ont puisé beaucoup de liquidités au cours des deux encans de décembre et de février.

Le bureau éditorial de l'agence Bloomberg suggérait en outre hier de transformer en capital-actions la dette subordonnée (non garantie) des banques en difficulté. Ce sont 30 milliards d'euros vite trouvés et à bien peu de frais. Il suggère aussi à Madrid de se porter garant de 25 milliards. Le reste pourrait venir du MES.

Entre-temps, les banques espagnoles saignent. Selon les relevés de la BCE, environ 100 milliards de dépôts ont été retirés de janvier à avril, l'équivalent d'un dixième de la taille de la quatrième économie de la zone euro. Si l'Espagne elle-même, plutôt que seulement ses banques, devait quémander l'aide de l'Union européenne et du Fonds monétaire international (FMI), il faudrait mobiliser près de 700 milliards, de quoi vider le MSE et les réserves du FMI presque au complet. «Que ce soit le MSE ou la BCE qui vienne au secours de l'Espagne, il y a risque que l'ambulance n'arrive pas à temps à Madrid», ont noté en début de semaine Avery Shenfeld et Emanuella Enanajor, économistes à CIBC.

L'Allemagne réalise-t-elle que c'est elle qui coordonne le 911?