Horaires chargés, revenus inexistants, risque d'échec élevé : démarrer son entreprise technologique, c'est plonger dans un monde hypercompétitif où l'incertitude est quotidienne. Certains se lancent en menant de front un projet tout aussi prenant : fonder une famille. Folie ou décision réfléchie?

Ceux qui ont vu Isabelle Bettez revenir au bureau après son accouchement s'en souviendront longtemps. Dans chaque main, elle tenait un panier. Et dans les paniers, il y avait les jumeaux auxquels elle avait donné naissance quelques semaines plus tôt.

«Vous auriez dû voir la face de mes clients quand je suis entrée dans la salle de conférence. Si j'avais saigné vert avec une antenne dans le front, ils ne m'auraient pas regardé différemment», raconte-t-elle.

La jeune mère n'avait pas le choix. À l'époque, elle venait de lancer 8D Technologies - l'entreprise qui est notamment derrière les bornes faisant fonctionner les BIXI.

Un parc dans le bureau pour les petits, une poussette pour les promener, des rideaux pour allaiter en toute tranquillité: Mme Bettez a organisé son environnement pour vivre sa maternité... au travail.

Elle n'est pas seule à avoir tenté sa chance dans l'univers de l'entrepreneuriat technologique tout en changeant des couches. En fait, un coup d'oeil à la scène montréalaise révèle que le stéréotype du célibataire à lunettes qui passe ses nuits à programmer devant des restes de pizza est loin d'englober tout le monde.

Martin Archambault est aussi devenu papa quelques mois après avoir lancé Wajam - une entreprise web qui veut créer des ponts entre les moteurs de recherche internet et les réseaux sociaux.

Le jeune entrepreneur savait bien que la petite Mireille viendrait bouleverser son univers. Mais il n'avait pas compris à quel point.

«Un gars, ça ne réalise pas nécessairement ce qui va lui arriver. Du jour au lendemain, je n'étais plus au bureau avec l'équipe. Ça a été un grand choc.»

Au moment de la naissance, le jeune papa prend du temps à la maison pour rester auprès de sa fille. Mais il est incapable de mettre Wajam de côté.

«J'étais toujours sur mes courriels. Chaque fois que la petite dormait, je me lançais sur l'ordinateur et je travaillais.»

Après deux semaines de ce régime, il retourne au bureau pour reprendre les rênes de sa compagnie. Et frappe un mur.

«Le corps ne suivait plus, j'étais vraiment au bout du rouleau. Je n'ai pas eu le choix de déconnecter pour vrai pendant deux semaines.»

Fonder simultanément entreprise et famille comporte son lot de défis. C'est encore plus vrai en technologie, un univers où tout va vite et où la concurrence est féroce.

«On peut travailler de partout et tout le temps, note Bruno Morency, fondateur et président de la petite boîte montréalaise context.io et père de Théo, deux ans et demi, et Clara, 8 mois. Dans notre cas, la très grande majorité de nos utilisateurs ne sont même pas dans notre fuseau horaire.»

Cette flexibilité, M. Morency la voit à la fois comme un avantage et un inconvénient. Comme la plupart des entrepreneurs interviewés pour ce dossier, M. Morency fonctionne sur deux «quarts de travail». Le premier se déroule aux heures où la majorité des travailleurs sont au bureau. L'autre se fait de la maison et débute après les bains et les histoires, quand les petits font dodo.

Déléguer davantage? Bruno Morency éclate de rire quand on lui fait la suggestion.

«Déléguer à qui? On est trois dans la compagnie, et les deux autres travaillent aussi fort que moi!»

Déléguer est aussi bien difficile quand on travaille pour lancer son propre projet.

«Ta compagnie, c'est ton bébé aussi, illustre Martin-Luc Archambault, de Wajam. C'est toi qui l'as mise au monde, c'est toi qui l'as fait grandir.»

Entre famille et boulot, les entrepreneurs finissent cependant par trouver leur équilibre. M. Archambault affirme que sa petite Mireille, qui a maintenant 18 mois, est devenue sa meilleure alliée contre le stress de l'entrepreneuriat.

«Quand je suis avec elle, je fais tout pour laisser le téléphone de côté. Et ça me fait tellement de bien, je décroche complètement. Elle est devenue mon médicament!»