L'auteur d'un rapport de SNC-Lavalin (T.SNC) sur le coût d'un amphithéâtre à Québec, l'ingénieur Michel Labbé, pouvait-il siéger en même temps au conseil d'administration de la fondation J'ai ma place, qui militait pour la construction d'un amphithéâtre? L'Ordre des ingénieurs du Québec se penchera sur la question. «Une enquête va être ouverte», dit sa présidente Maud Cohen.

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Un expert en gouvernance de l'Université York, Richard Leblanc, croit que Michel Labbé n'aurait pas dû se placer dans cette situation. M. Leblanc croit aussi que la Ville de Québec n'aurait pas dû confier en 2009 le mandat d'estimer le coût d'un amphithéâtre à une firme intéressée à le construire. «Si vous voulez une évaluation indépendante, vous ne demandez pas à une personne qui pourrait construire un édifice d'en évaluer le coût auparavant», dit Richard Leblanc, professeur en droit de la gouvernance à l'Université York. Deux ans plus tard, le consortium dont fait partie SNC-Lavalin a été choisi pour concevoir l'amphithéâtre.

Dans son numéro d'hier, La Presse a révélé que le rapport de SNC-Lavalin en 2009, qui concluait qu'un amphithéâtre de 18 000 sièges coûterait environ 400 millions, comportait plusieurs lacunes. SNC-Lavalin n'a pas vérifié les coûts de neuf amphithéâtres de la LNH utilisés à titre de comparaison avec leurs propriétaires. Il y a ainsi des écarts importants ("5%) avec les chiffres de SNC-Lavalin et les coûts officiels de cinq amphithéâtres sur neuf. SNC-Lavalin a aussi utilisé une méthode de calcul d'inflation contestée par plusieurs experts et a omis d'indiquer plusieurs sources d'informations consultées dans la préparation de son rapport.

Toutefois, c'est l'implication de l'auteur du rapport de SNC-Lavalin, l'ingénieur Michel Labbé, au sein de la fondation J'ai ma place qui a retenu l'attention de son ordre professionnel. «Nous sommes très à l'affût, nous ouvrons souvent des enquêtes à partir d'informations dans les médias», dit Maud Cohen, présidente de l'Ordre des ingénieurs. SNC-Lavalin estime qu'il n'y a pas eu de conflit d'intérêts.

Comme le processus d'enquête est confidentiel, la présidente de l'Ordre n'a pas voulu commenté l'implication de Michel Labbé au sein de la fondation J'ai ma place, qui vend le droit d'acheter des billets en priorité dans le nouvel amphithéâtre. Les 19 millions recueillis par J'ai ma place serviront à financer la construction de l'amphithéâtre dont l'ouverture est prévue en 2015. Le Code de déontologie ordonne à l'ingénieur de «sauvegarder en tout temps son indépendance professionnelle et éviter toute situation où il serait en conflit d'intérêts.» En situation de conflit d'intérêts, un ingénieur doit en aviser son client et lui demander s'il l'autorise à poursuivre son mandat.

Le professeur de l'Université York Richard Leblanc croit que Michel Labbé s'est placé en situation de conflit d'intérêts en 2009. «Il ne pouvait pas avoir toute l'indépendance nécessaire pour faire son rapport s'il siégeait au conseil d'administration de cette fondation qui voulait la construction de l'amphithéâtre. Vous ne pouvez avoir qu'un client à la fois», dit Richard Leblanc.

Michel Labbé s'est retiré du C.A. de J'ai ma place à l'hiver 2011, soit avant le processus d'appel d'offres pour choisir le consortium qui construira l'amphithéâtre. Le consortium incluant SNC-Lavalin a été choisi en octobre 2011.

Un autre professeur en éthique est plus indulgent à l'égard de Michel Labbé. «S'il a déclaré son intérêt à son employeur, je ne vois pas le problème, dit Thierry Pauchant, professeur et titulaire de la chaire de management éthique à HEC Montréal. Au Québec, on est tricoté serré. Vous trouvez donc forcément des gens qui ont des liens ensemble. On peut donc toujours voir des conflits d'intérêts potentiels.»

SNC-Lavalin estime qu'il n'y a pas eu de situation de conflit d'intérêts, car le mandat était «pour le compte de la Ville de Québec et non pour le groupe J'ai ma place», selon Leslie Quinton, vice-présidente des communications de SNC-Lavalin. M. Labbé avait déclaré à son employeur son rôle dans la fondation J'ai ma place. La Ville de Québec n'a pas commenté hier le rapport de SNC-Lavalin sur l'amphithéâtre en 2009.

En 1996, Michel Labbé a été réprimandé par le comité de discipline de son ordre professionnel pour avoir proposé à quatre villes de renoncer à des honoraires professionnels en échange de nouveaux contrats. À l'époque employé par le Groupe Roche, il avait reçu six réprimandes et une amende de 13 000$.