Soixante pour cent des diplômes universitaires, mais 40% des postes de gestion, 18% des postes de haute direction et 14% des sièges des conseils d'administration au Canada (Enquête Catalyst). Les femmes peinent à prendre leur place dans les hautes sphères du milieu des affaires. Parmi tous les cadres les mieux rémunérés au Canada, on ne compte que 6,3% de femmes.

En fait, l'ascension des femmes au sommet des entreprises privées, publiques et au sein des conseils d'administration se fait très lentement. De 2009 à 2011, la représentation des femmes dans les C.A. d'entreprises privées a augmenté de 3%. De 2008 à 2010, la proportion de sociétés ouvertes comptant plus du quart de cadres supérieurs féminins a grimpé de plus de 7,5%. Mais l'an dernier, elles étaient encore absentes du C.A. de 177 sociétés (soit 40%).

Les raisons sont multiples. «Quand on évalue les gens, il y a plus de top performers chez les femmes, note Anne-Marie J. Hubert, associée directrice, services consultatifs, Ernst & Young, Canada. Mais ça s'inverse en montant. Pourquoi? J'ai constaté dans nos processus d'évaluation qu'il n'y a pas de «mais» pour les gars. C'est dérangeant.»

«Les femmes ont un manque chronique de confiance, a déjà dit Madeleine Champagne, directrice-conseil d'AGC Communications. Elles ont fait moins de sports d'équipe que les gars qui ont appris à se motiver, à se dépasser sur le terrain.»

«Si on adopte des comportements plus masculins, on nous traite de tous les noms, note encore Rita Dionne-Marsolais, économiste, ancienne ministre péquiste, qui a occupé de hautes fonctions à Hydro-Québec et à la Société générale de financement. Et si on a des comportements plus féminins, on dit ce qu'on dit sur Pauline Marois: c'est une bonne maman...»

À l'heure où un comité prône publiquement une représentativité plus juste des femmes au sein des conseils d'administration, celui dirigé entre autres par Monique Jérôme-Forget, en compagnie de Monique F. Leroux (Mouvement Desjardins) et Jacynthe Côté (Rio Tinto Alcan), La Presse Affaires a demandé à 10 femmes qui ont ou qui ont eu une position enviable de livrer leurs conseils pour être plus présentes au sommet.

Fait intéressant: les propos de l'une contredisent parfois ceux d'une autre.

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Madeleine Champagne

Directrice-conseil, AGC Communications

«On dit souvent que pour franchir le plafond de verre, il faut travailler plus. Non! Il faut penser plus. Il faut penser à bien étudier la structure et le modèle de promotion au sein de son entreprise. Il faut penser à s'intégrer à tous les comités structurants, tous les postes d'autorité qui nous mettent en contact avec les gens du C-Suite. Il faut surtout trouver un mentor - oui, ça se trouve - et ne pas oublier de marcher la tête haute!»

Anne Darche

Spécialiste des tendances, chroniqueuse radio, télé et ex-dirigeante de l'agence de pub Allard Johnson

«Apprenez à bien vous exprimer en public. Savoir parler à des auditoires différents de façon efficace est un avantage concurrentiel discriminant; rien de tel pour se faire valoir et remarquer.»

Rita Dionne-Marsolais

Économiste, ancienne ministre péquiste, ex-Hydro-Québec, ex-Société générale de Financement

«Un seul conseil: partir en affaires soi-même. Je l'ai fait, de 1987 à 1992, et je ne l'ai jamais regretté. Pour plusieurs raisons. Premièrement, il faut monter à l'intérieur d'une entreprise, et ce processus évolue jusqu'à une certaine limite. À une étape ultime, le processus décisionnel est encore entre les mains de la gent masculine et les exigences pour les femmes ne sont pas les mêmes. Deuxièmement, le conjoint doit être prêt à investir dans la carrière de son épouse. Un des deux doit se sacrifier pour l'autre. Et c'est rarement l'homme. Dans la fonction publique, la probabilité d'avancer est peut-être plus élevée, car là, les femmes peuvent s'imposer, parce qu'elles sont élues. Au Québec, il y a de moins en moins de chefs misogynes. Mais dans l'industrie, c'est très différent. À moins qu'il y ait quelqu'un pour favoriser l'émergence des femmes, mais pour la sélection finale, on manque d'appuis. "Elle n'est pas prête!", "Elle est trop vieille!". C'est terrible de dire ça...

Cela dit, si on part en affaires, il faut être prête à y mettre le temps et les efforts. Il faut être forte et être capable d'établir des réseaux. Celles qui réussissent le mieux sont celles qui sont parties à leur compte et qui ont persévéré.»

Josée Goulet

Directrice principale et chef de pratique Solution de leadership, Knightsbridge

«Un jour, quelqu'un m'a dit: des résultats valent beaucoup mieux que bien des explications. Il faut livrer pour gagner la confiance. C'est aussi toujours bon d'aller se chercher un mentor qui nous connaît. Ce peut être un ancien patron ou un collègue. Ces gens-là peuvent être de bon conseil lorsqu'on a des décisions à prendre. Il faut qu'on ait un certain nombre d'affinités avec eux. Je me souviens qu'on m'avait offert un poste que je ne voulais vraiment pas avoir. Mon mentor m'a dit: prends-le pour telles raisons. Et je ne l'ai pas regretté. Il faut prendre des risques calculés pour avoir de la visibilité dans l'entreprise. Quand on prend un poste, il faut se demander: quel est le prochain poste?

Il faut aussi avoir confiance en ses moyens, sans être perçue comme arrogante. Une bonne dose de confiance donc, mais pas trop. Tout est une question de degré. Cela dit, monter à tout prix n'est pas nécessairement une bonne chose.»

Marie Bernard-Meunier

Professeur, diplomate, ex-ambassadrice du Canada à l'UNESCO, aux Pays-Bas, en Allemagne

«Le plafond de verre, il ne faudrait pas que ça tourne à l'obsession d'une vie. Cela dit, pour le briser, la meilleure stratégie pour une femme est d'être inattaquable, d'avoir l'image d'une fille dont on ne peut se passer. De ne pas être quelqu'un qui pousse, mais qu'on veut aller chercher. Il n'y a pas 100 façons de le faire: il faut être bonne. Ce qui est important, pour éviter les regrets, c'est de faire ses propres choix et de ne pas s'en faire imposer. Faites vos choix! Ne vous lancez pas avec l'idée d'atteindre le sommet le plus vite possible.»

Claudine Roy

Femme d'affaires, présidente et cofondatrice de la Grande Traversée de la Gaspésie

«Il ne faut pas essayer de marcher dans les mêmes traces que les hommes. Il faut rester soi-même, être capable d'exploiter ses qualités, son intuition. Les femmes sont capables de s'entourer de collaborateurs compétents. Par ailleurs, les femmes au sommet devraient aussi regarder les candidatures féminines.»

Anne-Marie J. Hubert

Associée directrice, services consultatifs, Ernst & Young, Canada

«Il n'y a pas une réponse, mais plusieurs défis. C'est différent à différentes périodes. Il faut établir des priorités, bien comprendre ce qui est important pour le succès au travail, mais ne pas oublier que le succès dans la vie, c'est plus que le travail. Si on le comprend, on peut être capable de dire non pour les choses moins importantes. Les femmes ont de la difficulté à dire non.

Il faut avoir un réseau à l'externe, mais aussi à l'interne. Si les décideurs ne nous connaissent pas, il est moins probable qu'ils nous donnent une chance. Les femmes ont tendance à faire leur job, à avoir de super résultats, donc elles ont l'impression que tout est beau. Il faut connaître les décideurs et être connus d'eux. On saisit les occasions de s'impliquer dans les activités, on force les rencontres pour essayer de mieux comprendre l'organisation.

Ça prend un sponsor. Je ne parle pas de mentor, mais de quelqu'un qui va parler de nous, nous mettre de l'avant, nous aider à progresser. On peut le demander à celui qui nous donne de bonnes évaluations. Moi, j'exige qu'un de mes leaders soit sponsor pour les femmes qui excellent. Défends-la, guide-la!

Il ne faut pas présumer que livrer des résultats sur un projet va systématiquement aboutir à une promotion. Il faut s'assurer de comprendre les préalables. Peut-être y avait-il du développement d'affaires à faire, peut-être que la personne pour qui on travaille n'est pas importante dans le processus. Il faut parler aux gens des ressources humaines, à ceux en mesure de donner des promotions.»

Nicolle Forget

Administratrice de société, avocate retraitée

«Un parcours similaire à celui des hommes, je n'y crois pas. Même les hommes n'ont pas tous une chance égale au départ. Pour des questions de formation, d'éducation, d'exposition plus jeune à des milieux stimulants. Ça nous prend des modèles. Ça peut être nos parents, s'ils sont en avant, décident, mettent en place des choses.

Il faut bien se connaître, rester soi-même et savoir ce qu'on veut. Car pour monter, on va devoir sacrifier des choses. Le milieu va le savoir et va profiter de nos faiblesses. Ça vaut pour les hommes autant que les femmes.

Ça prend aussi un réseau et il faut l'entretenir. Les réseaux, ça commence très jeune, à l'école même. Il faut se créer des réseaux dans le bénévolat. C'est une entreprise aussi qui a des règles assez similaires. Les membres du conseil d'administration travaillent dans des organismes qui ramassent des fonds à grande échelle. On y croise donc beaucoup de gens et ça nous pousse à travailler sur le terrain. Ce sont les meilleurs endroits pour voir si on a certaines habiletés et si on peut mener à terme nos projets.»

Isabelle Hudon

Présidente, Financière Sun Life, Québec

«D'abord, il faut que ça nous tente vraiment d'y accéder, à ce plafond. Ensuite, il ne faut pas craindre d'afficher son ambition et il faut se faire à l'idée qu'il faudra faire des choix. Donner en impartition la gestion de la maison, par exemple. J'ai choisi de ne pas me soumettre à cette pression de culpabilité, quand je suis à un endroit et non à un autre. On ne peut être présidente exécutive, être dans trois conseils d'administration et être mère de famille à la maison à 16h30.

Quant aux conseils d'administration, lorsqu'on nous sollicite, il faut dire oui rapidement. Un homme accepte tout de suite. Pour une femme, je dois l'appeler trois fois! Elle se demande: vais-je être assez bonne? Ai-je l'expertise? On considère plus d'extrants que les hommes.»

Louise Roy

Chancelière et présidente du conseil de l'Université de Montréal, présidente du Conseil des arts de Montréal, Fellow invitée (CIRANO)

«Pour briser le plafond de verre, il ne s'agit pas nécessairement d'avoir le même parcours que les hommes, mais bien d'avoir un parcours qui convient à nos valeurs et à notre personnalité. Toutefois, comme les hommes, il faut cultiver des alliés, un réseau interne et externe, ne pas hésiter à communiquer ses bons coups ainsi que ses attentes et atouts à ses supérieurs, développer ses compétences transversales, ne pas rester prisonnière d'une expertise trop pointue et surtout, prendre le parti de l'humour et non de l'agressivité!»