Pas facile de faire reposer l'expansion de l'économie canadienne avant tout sur les dépenses de consommation quand les ménages sont jugés surendettés.

Les Canadiens, dont les Québécois, n'ont pas lésiné sur les dépenses au cours de la dernière décennie.

Ils ont commencé le millénaire avec des baisses d'impôt, rendues possibles grâce à des années d'austérité pour rétablir l'équilibre budgétaire.

Ça tombait bien, ils avaient tellement de rattrapage à faire. La récession de 1990-1992 avait rogné leur pouvoir d'achat. Québec et Ottawa n'indexaient plus les déductions fiscales depuis la fin des années 80 alors que le coût de la vie augmentait de 4% à 5% par année.

Puis, aux baisses d'impôt s'est ajoutée une nouvelle source d'enrichissement: l'appréciation du dollar canadien. Grâce à elle, les prix des aliments, des vêtements, des appareils électroniques et des voitures importés ont diminué ou à tout le moins augmenté moins vite que le taux d'inflation.

Le pouvoir d'achat a progressé sans que les employeurs aient à indexer automatiquement les salaires. Cela a permis aux entreprises de vivre des années très florissantes, dans l'ensemble.

De son creux de 4,7% en 1992, la part des profits des entreprises a augmenté jusqu'à franchir la barre des 13% de la taille de l'économie de 2004 à 2008, quand l'expansion a brutalement pris fin. Du jamais vu.

La grande récession est venue bouleverser quelque peu ce cycle vertueux. En 2009, les bénéfices des sociétés ne représentaient plus que 9,8% du produit intérieur brut exprimé en dollars courants, un recul de quatre points sur 2008. Ils sont demeurés quand même deux fois plus élevés que lors du creux de 1991 et 1992.

L'an dernier, première année d'expansion du présent cycle, ils frôlaient déjà les 12%.

Cette remontée ne s'est pas accompagnée cette fois-ci d'une amélioration du pouvoir d'achat des consommateurs. De 2009 à 2011, le revenu intérieur brut réel, sa mesure statistique, a augmenté de 2,8% seulement, contre 5% pour l'indice des prix à la consommation (IPC). L'an dernier, l'IPC a même atteint 2,9%, son taux le plus élevé depuis 1991.

Sans jouer les devins, il est plausible que cette situation non souhaitable perdure. D'autant plus que la volonté des élus de remettre en ordre les finances publiques, mises à contribution pour relancer l'économie, entraînera non seulement des coupes dans les dépenses de l'État, mais sans doute aussi une ponction fiscale accrue.

Les deux forces de la remontée du pouvoir d'achat durant la décennie 2001-2011 sont désormais épuisées.

Personne ne souhaite évidemment une autre appréciation de 60% de notre monnaie face au billet vert.

Il est difficile d'imaginer aussi que la diminution des prix des biens importés, ceux d'Asie en particulier, se poursuive. L'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce, en 2001, avait créé une manne pour les consommateurs. Aujourd'hui, les salaires augmentent plus vite dans l'empire du Milieu que chez nous. Lentement mais sûrement, Pékin laisse aussi sa monnaie s'apprécier.

Cette dynamique va peut-être permettre à nos fabricants de reprendre quelque peu les parts de marché que la Chine leur a enlevées, aux États-Unis et même chez nous. La partie est toutefois loin d'être gagnée.

Si le Canada doit compter sur la consommation des ménages pour assurer le gros de sa croissance, alors il faudra bien trouver un moyen d'augmenter leurs revenus.

Les employeurs devront participer, s'ils veulent que les Canadiens continuent d'acheter les biens et les services qu'ils offrent.

Tant que les ménages auront l'impression qu'ils peuvent boucler leur budget, ils seront tentés de profiter des très faibles coûts d'emprunt pour rénover, se remeubler, voyager.

Sinon, ils se convertiront, à regret, aux vertus de l'épargne ou, pire, à la simplicité volontaire.

La consommation diminuera, la croissance et les profits aussi.

Et certaines revendications, comme l'indexation, devenues obsolètes avec la maîtrise de l'inflation, pourraient être dépoussiérées.