En septembre dernier, le président de SNC-Lavalin, Pierre Duhaime, s'interrogeait sur la crédibilité du rapport Duchesneau, qui traite de la corruption dans le monde de la construction. «Chez SNC-Lavalin, ça n'existe pas», avait-il lancé. Pourtant, outre la Libye, la firme s'est empêtrée dans trois affaires de corruption au cours des dernières années, en Inde, au Bangladesh et au Laos.

INDE

«L'affaire Lavalin»

Les journaux indiens parlent de «l'affaire Lavalin».

Le 20 décembre dernier, le tribunal du Central Bureau of Investigation (CBI) indien a ordonné qu'un mandat d'arrêt soit lancé contre Klaus Triendl, ancien vice-président de SNC-Lavalin.

M. Triendl, qui habite Pointe-Claire, doit comparaitre devant la cour du CBI, le 10 avril prochain. Il est accusé d'avoir comploté avec les dirigeants de l'État du Kerala pour rafler un contrat de rénovation de trois centrales hydroélectriques, d'une valeur de 60 millions de dollars.

L'affaire s'est déroulée dans les années 90. Selon le CBI, l'État aurait ignoré des soumissions moins chères pour les travaux de rénovation. La conspiration aurait entrainé des pertes importantes pour l'État, et des «gains indus» pour la firme.

Pour obtenir le contrat, SNC-Lavalin s'était notamment engagée à trouver 20 millions de dollars afin de financer la construction d'un hôpital pour cancéreux. La firme a finalement déniché moins de deux millions auprès de l'Agence canadienne de développement international (ACDI).

M. Triendl, tout comme SNC, ont déjà été convoqués à trois reprises devant la cour indienne. Chaque fois, la firme et son ancien vice-président ont brillé par leur absence.

BANGLADESH

La Banque mondiale sonne l'alarme

Le 1er septembre dernier, des enquêteurs de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) se sont présentés aux bureaux torontois de SNC-Lavalin - avec des mandats de perquisition en main.

Les policiers ont fouillé les bureaux de la firme d'ingénierie québécoise, à la recherche de documents pouvant faire avancer leur enquête: une affaire de corruption au Bangladesh.

C'est la Banque mondiale qui a prévenu la GRC. Une équipe d'avocats, d'enquêteurs et d'analystes chargés de scruter les projets financés par l'organisme international ont tiré la sonnette d'alarme sur ce projet de construction d'un pont d'une valeur de 1,2 milliard de dollars.

La Banque mondiale a suspendu le financement du chantier, le temps que les enquêteurs fassent la lumière sur les allégations de pots-de-vin impliquant des employés de SNC-Lavalin.

Selon un journal bangladais, des représentants de l'ancien ministre des Communications auraient promis d'accorder le lucratif contrat en échange de commissions.

SNC-Lavalin était le plus bas soumissionnaire. Le pont de 6,5 kilomètres doit enjamber le fleuve Padma et permettre au sud du Bangladesh, peu développé, de joindre la capitale, Dacca.

Le 3 février, la Commission anticorruption bangladaise a conclu que les allégations concernant l'ancien ministre n'étaient pas fondées.

Mais la Banque mondiale n'a pas encore tiré ses propres conclusions.

«Nous prenons cette situation très au sérieux puisque nous avons une politique de tolérance zéro à l'égard des comportements non éthiques», a déclaré en octobre la porte-parole de SNC-Lavalin à La Presse.

LAOS

Un contrat routier de 3,6 millions

En 2002, SNC-Lavalin est devenue la toute première firme occidentale d'importance à être sanctionnée pour fraude par une agence internationale de développement dans les pays pauvres.

Pendant deux ans, la Banque asiatique de développement a placé deux filiales de la firme d'ingénierie québécoise sur sa liste noire. Il leur était interdit de présenter des soumissions pour les projets de l'agence.

C'est que SNC-Lavalin avait remis des documents mensongers à la Banque dans le but d'obtenir un contrat routier au Laos, d'une valeur de 3,6 millions de dollars.

La firme avait produit de faux curriculums, faisant passer des sous-traitants pour des employés, question de remplir les conditions requises pour l'obtention du contrat.

Située à Manille et disposant d'une enveloppe de 53 milliards, la Banque asiatique de développement est en partie financée par le gouvernement canadien.

SNC-Lavalin a tu l'affaire pendant près de deux ans. En 2004, le Globe and Mail a mis la main sur un mémo aux employés rédigé par l'ancien président de la firme, Jacques Lamarre.

«Nous acceptons toute la responsabilité pour ces incidents, mais nous demeurons plus engagés que jamais au principe de la tolérance zéro pour la malhonnêteté», avait-il écrit.

Le responsable de la fraude, ajoutait le président, n'était plus employé par l'entreprise.

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L'annus horribilis de la firme d'ingénierie



Février 2011


Portés par le Printemps arabe, des rebelles libyens se soulèvent contre le dictateur Mouammar Kadhafi. SNC-Lavalin suspend ses travaux et évacue ses 4500 travailleurs du pays en guerre. La firme, implantée en Libye depuis deux décennies, travaillait alors à la construction d'un aéroport à Benghazi (500 millions), de conduites d'eau à Sarir (475 millions) et d'une prison controversée en banlieue de Tripoli (275 millions).

Juillet 2011

Alors que les rebelles se rapprochent de Tripoli, SNC-Lavalin envoie Cynthia Vanier en «mission d'établissement des faits» sur le terrain. Après quelques jours d'entrevues, Mme Vanier, consultante ontarienne indépendante, rédige un rapport critique à l'égard des frappes de l'OTAN. Elle envoie une copie du document au gouvernement canadien. SNC verse plus de 100 000$ à Mme Vanier pour ce rapport bâclé, mais très favorable au dictateur assiégé.

Septembre 2011

Gary Peters, un ancien soldat australien qui a établi sa propre agence de sécurité privée en Ontario, rencontre à Tunis Riadh Ben Aïssa, vice-président directeur de SNC-Lavalin. Ce dernier a tissé des liens étroits au fil des ans et des contrats avec le clan Kadhafi. Peu après cette rencontre, M. Peters se rend en Libye, où il participe à une périlleuse mission visant à exfiltrer le fils du dictateur, Saadi Kadhafi, au Niger.

Novembre 2011

Cynthia Vanier est arrêtée au Mexique. Les autorités l'accusent d'être la tête dirigeante d'un réseau criminel d'envergure internationale, qui aurait comploté pour faire passer clandestinement Saadi Kadhafi et sa famille au Mexique. La police arrête aussi trois autres personnes, dont certains se trouvaient en compagnie de Stéphane Roy, vice-président aux finances de SNC-Lavalin, au moment de leur arrestation.

Février 2012

SNC-Lavalin annonce avoir rompu ses liens avec deux dirigeants mêlés à cette affaire: Riadh Ben Aïssa et Stéphane Roy. «SNC-Lavalin réitère que tous ses employés doivent respecter son Code de déontologie et de conduite dans les affaires», souligne la firme dans un communiqué. Le lendemain, Riadh Ben Aïssa annonce son intention de poursuivre l'entreprise en diffamation. Depuis, le géant du génie québécois tente de prendre ses distances de cette affaire, mais de nombreuses questions restent sans réponses.