Manque d'argent. Manque de soutien gouvernemental. Manque d'encadrement, manque d'expertise, manque d'aide de la part des grandes entreprises.

La liste des raisons invoquées pour expliquer la rareté des géants technologiques québécois est longue. Mais Chris Arsenault, associé principal du fonds de capital-risque québécois iNovia, commence à trouver que ces excuses sonnent faux.

«Je crois sincèrement qu'on a peur», a lancé M. Arsenault récemment lors du congrès de Réseau capital, l'association du capital investissement du Québec.

Devant un auditoire un brin interloqué, M. Arsenault a demandé aux financiers qui l'écoutaient combien parmi eux s'étaient rendus dans la mecque technologique de la planète, Silicon Valley, au cours des quatre derniers mois.

Cinq mains timides se sont levées.

«On a peur de sortir de Montréal. On a peur de passer du temps en Californie au milieu de plein d'inconnus. On a peur de notre accent. On a peur de se faire comparer de la mauvaise façon», a continué M. Arsenault.

Le débat était lancé. Et pour bien le situer, M. Arsenault a fixé la barre à 100 millions. Pourquoi le Québec produit-il si peu d'entreprises technos qui génèrent des ventes annuelles de 100 millions... ou qui valent 100 millions sur le marché?

Jacques Bernier, de Teralys, répond à la question par ce qu'il appelle «le syndrome des trois B». Les trois B sont pour BMW, boat et beach house. En français: la grosse voiture, le bateau et la maison de bord de mer.

«Au Québec, quand nos entrepreneurs ont la chance de faire 5 millions en vendant leur compagnie, ils font le saut, prennent leur argent et surfent dessus parfois pour le reste de leur vie, explique M. Bernier. Aux États-Unis, on voit beaucoup plus de gars qui déclinent les premières offres, font grossir leur compagnie et obtiennent beaucoup plus au bout du compte.»

Les entrepreneurs américains sont aussi plus susceptibles de réinvestir une partie de leur fortune faite avec une première entreprise pour en relancer une autre, continuant de faire tourner la roue.

C'est ce que Louis Têtu, l'un des rares véritables entrepreneurs en série de la province, fait par exemple à Québec. L'une de ses entreprises, Taleo, a justement été vendue il y a deux semaines pour... 1,9 milliard. Mais M. Têtu était déjà ailleurs, en train de faire grandir sa petite dernière, Coveo.

Shahir Guindi, d'Osler, Hoskin&Harcourt, se demande cependant si les entrepreneurs d'ici ont toujours le choix de leur destinée. Il vient toujours un point dans la vie d'une entreprise où les premiers investisseurs, dont le métier est de lancer des sociétés et non de les accompagner éternellement, veulent légitimement récupérer leurs billes, dit-il.

Dans un monde «normal», une entrée en Bourse permettrait de les satisfaire.

«On prend l'argent du public et on le donne au monsieur de capital-risque qui a investi au début. Lui est content et l'entrepreneur garde son entreprise ici», résume M. Guindi.

Or, la Bourse de Toronto, fortement axée sur les ressources naturelles, suscite peu d'enthousiasme pour les sociétés technologiques. Celles-ci s'y font d'ailleurs de plus en plus rares - et celles en provenance du Québec encore davantage.

Conséquence: en l'absence d'un marché public intéressant, accepter la première offre sur la table, même basse, représente souvent la seule porte de sortie pour les entrepreneurs et leurs investisseurs.

«Je pense que le TSX pourrait être une excellente occasion pour nos entreprises, mais ça prendrait beaucoup plus de soutien des investisseurs institutionnels envers les sociétés technologiques», croit M. Guindi.

Michel Lefebvre, expert en technologies de l'information et associé en fiscalité chez Raymond Chabot Grant Thornton, se questionne quant à lui sur le rôle des grandes entreprises québécoises, qui s'intéressent peu aux technologies provenant des petites boîtes locales.

«Au lieu d'être achetées, peut-être que nos entreprises pourraient faire des partenariats avec des grandes sociétés et continuer à croître au Québec», dit-il, invitant les CGI, Bombardier, Transcontinental et autres à agir.

«Research in Motion n'a peut-être pas le vent dans les voiles actuellement, mais ils ont créé tout un écosystème d'innovation et d'entrepreneuriat à Waterloo (en Ontario), souligne-t-il. On n'a pas d'équivalent au Québec.»