Ils ont été congédiés en 2004 et accusés de fraude par la GRC en 2008. Mais c'est seulement la semaine prochaine que s'ouvrira le procès de trois ex-dirigeants de Nortel, un recours judiciaire qui durera de six à neuf mois et verra défiler une quantité astronomique de preuves.

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Frank Dunn, ex-PDG, Douglas Beatty, ex-chef des finances, et Michael Gollogly, ex-contrôleur, sont accusés d'avoir manipulé les états financiers de l'entreprise entre janvier 2002 et juin 2003. Ces malversations alléguées leur auraient permis d'empocher des millions de dollars en primes sur la base de fausses informations.

Le juge Frank Marrocco, de la Cour supérieure de l'Ontario, entendra dès demain les requêtes préliminaires dans ce dossier. Le procès commencera lundi à Toronto et permettra de replonger au coeur de la débâcle du géant déchu des équipements de télécommunications.

«C'est incroyable de voir qu'en une décennie, ce groupe est passé du statut de roi du monde à la disparition, observe Mark Evans, consultant techno qui écrit sur Nortel depuis 1999. C'est la grande tragédie de l'histoire canadienne de la haute technologie.»

Nombreuses irrégularités

Le congédiement de Frank Dunn et de ses deux collègues en avril 2004 a eu l'effet d'une bombe pour Nortel. Dès l'annonce de ce renvoi - et d'une réduction de moitié du bénéfice net de l'année précédente -, le titre du groupe a chuté de 30%, rayant près de 10 milliards de dollars en capitalisation boursière.

À l'époque, les livres comptables de Nortel faisaient déjà l'objet d'enquêtes de la part de la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis et de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a quant à elle mené une enquête de près de quatre ans avant le dépôt des accusations criminelles en 2008.

Les ex-dirigeants de Nortel font chacun face à sept chefs d'accusation. Dans un communiqué de 2008, la GRC souligne que les trois accusés ont «faussé la déclaration des résultats financiers de Nortel» et «omis des détails essentiels concernant les résultats financiers». De plus, ils ont publié «un état ou un compte, soit écrit, soit oral, sachant qu'il était faux en quelque point essentiel, avec l'intention de tromper ou de frauder les membres, actionnaires ou créanciers», avance le corps policier.

Les accusés sont passibles de 14 ans de prison s'ils sont reconnus coupables du plus sérieux des chefs.

Le délai entre le dépôt des accusations et le début du procès s'explique en partie par la quantité gigantesque de documents amassés contre les ex-dirigeants. Des millions de pages ont été déposées à la Cour, rapporte le National Post, une somme «ahurissante» qui aurait amené le juge à ordonner à la Couronne de remettre de l'ordre dans ses documents en 2010.

Les avocats de la Couronne refusent d'accorder des entrevues avant le début du procès lundi prochain. L'avocat de Frank Dunn, pour sa part, n'a pas répondu au courriel de La Presse Affaires hier.

La chute d'un géant

Les Canadiens ont suivi la chute de Nortel Networks comme un feuilleton au cours de la dernière décennie. Un effondrement d'autant plus brutal que le fabricant d'équipements de télécoms a atteint des sommets stratosphériques en 2000, quand son action valait 124,50$ et sa capitalisation boursière, presque 400 milliards!

Or, «une série d'erreurs très graves faites par la haute direction» ont fortement nui à l'entreprise pendant la période frénétique de la fin des années 90, souligne le consultant et chroniqueur Mark Evans. Il cite les nombreuses acquisitions de plusieurs milliards, dont la plupart se sont révélées désastreuses après l'éclatement de la bulle techno.

Nortel n'a jamais cessé de perdre des plumes par rapport à ses concurrents par la suite, tout empêtrée qu'elle était dans ses problèmes comptables et juridiques. La société s'est placée à l'abri de ses créanciers en 2009 et a vendu l'an dernier ses brevets - les joyaux de l'entreprise - pour plus de 4 milliards.