Le concepteur et fabricant de jeux vidéo THQ est dorénavant libéré des chaînes qui l'empêchaient de solliciter et de recruter directement des employés de son concurrent Ubisoft à Montréal.

THQ doit cette liberté de concurrence retrouvée à un jugement de la Cour d'appel tombé, la semaine dernière, qui invalide une décision de la Cour supérieure remontant à juillet dernier.

À cette occasion, la juge Lise Matteau avait émis, à la demande d'Ubisoft, une ordonnance empêchant THQ «de solliciter et d'embaucher» directement ou indirectement tout employé d'Ubisoft que l'entreprise sait lié par une clause de non-concurrence. Cette ordonnance de sauvegarde avait une durée indéterminée et était valide jusqu'à ce que le fond du litige entre les deux sociétés soit tranché. Ce n'est toujours pas chose faite, presque un an après la genèse du différent commercial.

Selon la Cour d'appel, la juge a fauché beaucoup trop large avec cette ordonnance et elle y met un terme en fixant à rebours sa date de péremption au premier septembre dernier.

Le souque à la corde entre les deux sociétés débute le 28 mai 2010 avec le passage chez THQ de Patrice Désilets, directeur créatif du mega succès Assassin's Creed, un jeu vidéo multimillionnaire développé par Ubisoft à Montréal.

Le 12 janvier suivant, Ubisoft apprend que Désilets a sollicité trois collègues pour qu'ils joignent également les rangs de THQ. L'entreprise française obtient alors une injonction empêchant Désilets de solliciter ses ex-collègues, puisqu'il est sous le coup d'un engagement de non-concurrence valide jusqu'au 11 juin 2011.

À peine un mois plus tard, Ubisoft remet ça, cette fois à l'intention d'Adolfo Gomez-Urda, lui aussi passé chez le concurrent et qui a approché une employée d'Ubisoft pour lui vanter les mérites de THQ, notamment avec des arguments en espèces sonnantes.

C'en est trop pour Ubisoft, qui s'adresse à la Cour supérieure pour également obtenir une ordonnance visant non seulement ses ex-employés, mais THQ. La disposition est accordée une première fois jusqu'au 7 juillet, puis est renouvelée pour une période indéterminée par la juge Matteau le 13 juillet.

La Cour d'appel définit ainsi le noeud du débat: «[Est-ce que] la Cour supérieure pouvait interdire à THQ de solliciter des employés non identifiés et liés à Ubisoft par des clauses de non-sollicitation et de confidentialité dont la validité n'a pas été démontrée?»

Sa réponse est non.

Bien sûr, les deux sociétés jouent dans les mêmes plates-bandes et «THQ reconnaît sans ambages livrer à Ubisoft une concurrence de tous les instants», notamment en tentant de débaucher «certains employés clés d'Ubisoft», indique la Cour d'appel.

Mais ce sont les employés d'Ubisoft qui sont liés par contrat à cette dernière, pas THQ.

Et les clauses de non-concurrence d'un an des ententes de Désilets et de Gomez-Urda, qui ont donné naissance à la dispute, sont caduques depuis juin et septembre.

«Je suis en désaccord avec l'idée selon laquelle l'engagement personnel des employés d'Ubisoft puisse s'étendre à un tiers par la seule volonté de cette dernière», écrit le juge Guy Gagnon. Je ne vois, en effet, aucun empêchement prohibant THQ de solliciter les employés d'Ubisoft, sauf si [...] cette démarche se faisait en toute connaissance de cause par l'entremise de personnes déjà liées à cette société par une clause de non-sollicitation.»

La Cour d'appel a aussi rejeté l'argument de la concurrence déloyale. Ubisoft n'a pas démontré, comme elle le prétend, même de façon sommaire, que THQ manoeuvre pour désorganiser l'équipe d'Assassin's Creed.

«Bref, même s'il est admis que THQ se livrera à l'avenir à la sollicitation de certains employés d'Ubisoft, [Ubisoft] n'a toutefois pas été établi qu'elle le fera de manière excessive et contraire à la liberté de concurrence», écrit le juge Gagnon.

Dans un courriel envoyé à La Presse Affaires, Ubisoft a eu le commentaire suivant. «L'arrêt rendu par la Cour d'appel du Québec ne remet aucunement en question les conclusions auxquelles en sont venus deux juges de la Cour supérieure relativement au non-respect de la clause de non-sollicitation inscrite au contrat de deux anciens employés d'Ubisoft maintenant à l'emploi de THQ. Le studio d'Ubisoft à Montréal continue et continuera de concentrer ses énergies sur la production de jeux de qualité reconnus par les joueurs du monde entier comme parmi les plus innovants de l'industrie.»