Pendant deux ans, une PME montréalaise a vendu son concept de carte de souhaits vidéo personnalisée du père Noël à Bell, avant de voir Bell lancer l'an dernier une vidéo similaire. Cette année, la rivalité entre le père Noël Portable de UgroupMedia et le père Noël Magique de Bell se transporte en France et aux États-Unis.

L'harmonie ne règne pas au pôle Nord virtuel. Bell et UgroupMedia, une PME montréalaise, se font concurrence pour que les enfants et les parents reçoivent une carte de souhaits vidéo personnalisée du père Noël sur l'internet. Une concurrence «étonnante», selon UgroupMedia, un ancien partenaire d'affaires de Bell qui a demandé une injonction pour concurrence déloyale contre le géant canadien des télécoms à deux reprises dans ce dossier l'an dernier. Les deux fois, la Cour supérieure a donné raison à Bell et son père Noël Magique.

Conçu par UgroupMedia, le père Noël Portable a été diffusé sur le portail Sympatico de Bell en 2008 et 2009. UgroupMedia voulait renouveler sa licence canadienne du père Noël Portable à Bell en 2010, mais les deux parties ne sont pas parvenues à s'entendre. Quand Bell a lancé son propre site web de vidéos du père Noël Magique en novembre 2010, UgroupMedia a demandé sans succès une injonction à la Cour supérieure. «Nous trouvions les deux sites extrêmement similaires, dit Alexandre Bérard, président et chef de la direction de UgroupMedia. Ils ont le même genre de chambre de père Noël, le même père Noël de type européen. Leurs questions ressemblent aux nôtres: en 2010, Bell a seulement ajouté une question pour demander aux enfants ce qu'ils veulent faire plus tard dans la vie. En plus, nous nous sommes aperçus que Bell a acheté nos mots-clés sur le web pour les rediriger vers leur site. Nous avons donc dû faire la même chose pour nous protéger.»

Cette année, la PME montréalaise, qui prévoit livrer environ 10 millions de cartes virtuelles du père Noël Portable, dont 40% aux États-Unis, a sursauté quand elle a appris que Bell avait personnalisé son père Noël Magique pour la France et les États-Unis. UgroupMedia vend une licence du père Noël Portable en France à la société de télécom SFR depuis 2009. UgroupMedia a aussi personnalisé son site pour viser les États-Unis et l'Europe en 2010. «Nous nous questionnons sur l'intérêt de Bell d'aller à l'international, au point de chercher à y vendre des licences, dit Alexandre Bérard, de UgroupMedia. Habituellement, les distributeurs se limitent à leur territoire. On ne verra pas AT&T faire une application pour le Québec. En France, notre partenaire SFR ne veut même pas de site en anglais.»

Injonction refusée

Bell ne voit pas pourquoi elle devrait limiter les cartes du père Noël Magique aux enfants et aux parents du Canada. «Notre site Sympatico est disponible partout dans le monde et nous voyons le père Noël Magique comme une façon ludique de célébrer le temps des Fêtes», dit Marie-Ève Francoeur, porte-parole de Bell. Sur les allégations de concurrence déloyale, Bell fait valoir que la Cour supérieure a reconnu à deux reprises la légalité de son site web père Noël Magique.

Le 16 décembre 2010, le juge Pierre Gagnon a tranché que UgroupMedia avait attendu trop longtemps (31 jours) afin d'obtenir d'urgence une injonction provisoire pour concurrence déloyale. Un mois plus tard, son collègue Jean-François de Grandpré a aussi refusé une injonction interlocutoire à UgroupMedia, jugeant que la «preuve technique [n'est] pas concluante quant à l'appropriation du code source», que le «message [...] n'est pas copié, qu'il n'y a pas de reproduction d'une marque de commerce» et que «le préjudice n'est pas irréparable».

Faute de moyens financiers, UgroupMedia a choisi de ne pas poursuivre le débat juridique après ces deux revers préliminaires. «Le débat de fond n'a jamais été fait. Si je poursuivais, c'était la faillite assurée», dit Alexandre Bérard, qui dirige entre 5 et 10 employés selon la période de l'année.

À la demande de La Presse Affaires, la professeure de droit Ysolde Gendreau a examiné les deux sites de père Noël de UgroupMedia et de Bell. Selon cette spécialiste du droit d'auteur et du droit de la concurrence, les ressemblances sont «troublantes». «Le débat de fond n'a pas été fait lors des demandes d'injonction interlocutoire, mais ce serait une cause difficile à juger sur le fond, dit la professeure à l'Université de Montréal. C'est la triste réalité du droit d'auteur: les auteurs n'ont souvent pas les moyens de faire un recours juridique et ça crée un climat où on tolère ce genre de choses.»

Au lieu de se battre en cour contre Bell, UgroupMedia a décidé de retrousser ses manches à l'international. L'entreprise pense livrer environ 10 millions de vidéos du père Noël Portable cette année, comparativement à 6,8 millions l'an dernier. Environ 40% de ses cartes de souhaits du père Noël Portable seront livrées aux États-Unis, 17% en France, 17% au Royaume-Uni et 10% au Canada. En France, UgroupMedia a un commanditaire majeur, la société de télécoms SFR, pour la troisième année. Au prorata de la population, c'est en Irlande que le père Noël Portable est le plus populaire.

Au Canada, la popularité du père Noël Portable est passée de 1,7 million de vidéos sur Sympatico (Bell) en 2009 à 600 000 l'an dernier. Cette année, environ un million de vidéos du père Noël Portable devraient être téléchargés au pays. Bell ne donne pas de chiffres sur la popularité du père Noël Magique, au Canada comme à l'international. «Nous avons consacré notre maigre budget à acheter des liens web aux États-Unis et en France», dit Alexandre Bérard qui, ironiquement, a travaillé cinq ans en marketing chez Bell avant de se lancer en affaires. «J'étais tatoué Bell!», dit-il.

UgroupMedia ne sait pas s'il parviendra à rentabiliser son père Noël Portable cette année. Pour augmenter ses revenus, l'entreprise vend de la publicité (Bell annonce parfois sur le site!) mais surtout des produits dérivés comme un livre résumant la vidéo à 39,99$, un casse-tête à 12,99$, une lettre à 10,99$ et une vidéo haute qualité à 6,99$. Les vidéos accessibles gratuitement sur le site web seront détruites à la fin février, d'où l'intérêt d'acheter une vidéo haute qualité à 6,99$. Son application mobile sur iPhone et Android coûte 2,99$.