L'endettement des ménages canadiens atteint un niveau record. Encore.

Selon les dernières données de Statistique Canada, le rapport entre les dettes des ménages canadiens et leur revenu disponible a atteint 152,98% au troisième trimestre, en hausse par rapport à l'ancien sommet de 150,57% du trimestre précédent. Un ménage qui gère un budget annuel de 100 000$ cumule donc des dettes de 152 980$.

«C'est une tendance lourde qui se dessine depuis le début des années 90, commente Jean-Pierre Ménard, économiste aux comptes de revenus et dépenses chez Statistique Canada. On ne voit pas comment ça pourrait se renverser à court terme.»

On le répète depuis des années. Même litanie, mêmes mises en garde: les ménages sont à la limite du surendettement. Pendant ce temps, l'endettement maintenait obstinément sa pente ascendante.

«On aurait espéré que l'endettement se stabilise un peu, mais le fait qu'il continue à augmenter, c'est inconfortable...», indique Hélène Bégin, économiste principale aux Études économiques Desjardins, qui a déjà produit trois études sur le sujet.

Dans un discours prononcé lundi, le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, avait déjà enjoint aux Canadiens de restreindre leur endettement, soulignant qu'ils étaient désormais plus endettés que les Américains et les Britanniques.

À force de crier au loup, a-t-on insensibilisé la population aux risques des dettes excessives?

En fait, les Canadiens ont profité de ce produit de consommation à rabais: un taux d'intérêt minime.

Les économistes le rappellent à chaque nouvelle hausse du taux d'endettement: le service de la dette des ménages, c'est-à-dire la part consacrée au paiement des intérêts et au remboursement du capital, est encore supportable. «Le service de la dette est actuellement au Canada de 7,2% du revenu disponible des ménages, indique Stéfane Marion, économiste en chef à la Banque Nationale. En 1990, il était de 10,4%. Lorsque vous avez un marché du travail qui fonctionne plutôt bien et une politique monétaire extrêmement souple, comme c'est le cas présentement au Canada, il ne faut pas s'étonner que les ménages canadiens se dirigent vers des actifs immobiliers.»

Les risques

En d'autres mots, la plupart des ménages bouclent encore leur budget, en dépit de leur endettement.

Mais prudence. «Est-ce que la vitesse d'endettement qu'on a vue au cours des dernières années est soutenable? Absolument pas», insiste Stéfane Marion.

Le budget péniblement équilibré des ménages canadiens fait face à deux risques. La hausse des taux d'intérêt, d'abord.

C'est le risque auquel les consommateurs sont le plus sensibles... lorsqu'il est imminent. «Les particuliers écoutent les mises en garde lorsque la menace est proche», observe Hélène Bégin.

Or, on ne prévoit aucune hausse importante avant 2014, indique-t-elle. À plus court terme, le risque se pointe plutôt du côté de la fragilité de l'économie et d'une possible détérioration du marché du travail. «On a vu par exemple en 2009 que les faillites au Québec avaient augmenté de 20%, en raison des pertes d'emplois pendant la récession», expose Hélène Bégin.

Malheureusement, ce sont les jeunes ménages endettés jusqu'aux oreilles avec leur première propriété qui sont les plus sensibles à ces perturbations.

«Ce n'est pas juste des chiffres, pour nous, confie Michèle Goyette, porte-parole pour les questions d'endettement pour la Coalition des associations de consommateurs du Québec. Les gens qu'on reçoit arrivent stressés, angoissés. Ce sont souvent des gens qui ont surconsommé avec le crédit, souvent en lien avec un changement de situation, comme une perte de travail, une diminution de revenus, une séparation.»

La dette en regard des actifs

Autre façon de tracer le portrait: l'endettement augmente, mais les actifs croissent encore davantage, font valoir les économistes. C'est un endettement productif, parce qu'à terme, il est source d'enrichissement.

Malheureusement pour cette optique, la valeur nette des ménages par habitant a baissé au troisième trimestre de 2011, passant de 184 700$ à 180 100$, en raison de la baisse de valeur de leurs actifs boursiers.

Pour la première fois, la dette des ménages en proportion de leurs actifs totaux est passée au-dessus de la barre des 20%, à 20,37% au troisième trimestre. Mais il est vrai que cette proportion est demeurée beaucoup plus stable que le taux d'endettement: elle s'établissait à 17,60 au début de 1990 et 15,90 au début de 2000.

En attendant la bourrasque

L'accalmie des taux d'intérêt pourrait se maintenir jusqu'en 2014. «Si les ménages ne profitent pas de cette période de grâce pour assainir leur bilan financier, tôt ou tard, ils vont se faire rattraper par les hausses de taux et ça risque d'être encore plus problématique», prévient Hélène Bégin.

Il reste peut-être deux ans pour corriger la trajectoire.

En attendant le prochain record.