Il est plutôt rare que le risque politique éclipse tous les autres quand vient le temps de prédire avec vraisemblance la voie qu'empruntera l'économie au cours de la prochaine année.

Pour la 36e édition des Boules de cristal de La Presse, nos quatre experts consultés admettent d'emblée que la croissance dépendra de la volonté des élus, européens d'abord américains ensuite, d'imposer l'austérité. Faute de quoi, la mercuriale des marchés sera martiale. Il n'y a plus d'espace fiscal.

«Jusqu'à tout récemment, il y a eu déni de la dette publique par les Européens, rappelle Stéfane Marion, économiste en chef et stratège à la Banque Nationale. La seule façon de la régler consiste à changer de modèle social.»

Vivre selon ses moyens, quand ça signifie augmenter le travail et réduire la couverture sociale et la générosité des retraites, n'est pas chose facile. Surtout quand les politiciens ont trop longtemps promis la lune.

«Les Européens veulent mutualiser la dette de leurs gouvernements, précise François Dupuis, vice-président et économiste en chef chez Desjardins. C'est un travers de la mondialisation qu'on n'avait pas prévu. La situation mondiale est extrêmement précaire, mais ça ne prendrait pas grand chose pour que la croissance s'accélère: une entente à demi satisfaisante pourrait suffire.»

Carlos Leitao, économiste en chef chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne, estime que les Européens ont les moyens de régler leurs dettes, sans même l'aide du Fonds monétaire international (FMI) qu'ils vont quand même solliciter. «Ils ont la capacité de rendre difficiles des choses simples, ironise-t-il. Ils vont trouver une solution. L'alternative, c'est la dissolution de la zone euro, une avenue extrêmement coûteuse et catastrophique.»

Le marché a donné un signal jupitérien. «Et ça bouge enfin, ajoute Maurice Marchon, professeur d'économie à HEC Montréal. S'ils mettent leurs culottes, le FMI va les aider et les pays émergents aussi.»

Le sommet de vendredi prochain est crucial: ça passe ou ça casse, pensent à l'unisson notre quartet de prévisionnistes.

Toutes leurs prévisions reposent sur une résolution partielle de la crise européenne qui entraînera des années d'austérité. Voilà pourquoi ils prévoient au mieux une stagnation dans la zone euro l'an prochain alors qu'elle est entrée en récession cet automne.

Ce pronostic au mieux saturnien suppose un rôle accru de la Banque centrale européenne (BCE) qui va abaisser son taux directeur, présentement fixé à 1,25%, afin de stimuler l'économie.

Notre bande des quatre ne serait pas du tout étonnée de la voir se lancer dans des mesures de détente quantitative, n'en déplaise à l'Allemagne.

La BCE doit soutenir les banques européennes dont les actifs sont gorgés d'obligations souveraines. Les gouvernements utilisaient leurs banques pour financer leurs dettes. Ce ne peut plus être le cas et les marchés exigent un rendement de 7% et plus pour toute dette qui excède 80% de la taille de l'économie, rappelle M. Marion.

Un rayon de soleil

Tandis que le ciel restera sombre sur le Vieux-Continent, qui parviendra sans doute néanmoins à traverser cette tempête, une petite embellie chauffe enfin l'économie américaine. Depuis quatre mois, le marché du travail s'améliore, tout comme la production industrielle et les conditions d'octroi de prêts à la petite entreprise, seule génératrice d'emplois jusqu'ici au cours du présent cycle.

«Si l'Europe parvient à se stabiliser, alors la croissance américaine va s'accélérer, estime M. Marchon, le plus optimiste des quatre avec une prévision de 2,4 millions d'emplois chez l'Oncle Sam, l'an prochain. Il croit que les États-Unis vont profiter de la force relative des économies émergentes qui ont des munitions pour faire face à un certain ralentissement.

«On assiste à un retournement de situation, renchérit François Dupuis. Une certaine solidité se met en place.»

Carlos Leitao est moins optimiste. «Les économies européenne et américaine sont plus interconnectées qu'on le présume en général. Les États-Unis ne peuvent donc pas connaître une forte croissance quand l'Europe stagne ou recule.» En outre, il pense que le marché immobilier n'a pas touché le fond encore.

Stéfane Marion n'est pas d'accord. «Ça a fini de saigner!» Il prévoit d'ailleurs un rebond de 15% des mises en chantier, soit près du double de ce qu'entrevoient ses collègues.

M. Leitao s'inquiète avant tout pour 2013 quand les coupes budgétaires et les hausses d'impôt mécaniques mordront dans la croissance.

Ses collègues font valoir que les élus ne laisseront pas se matérialiser une ponction de 400 milliards sans réagir, une fois passées les élections.

Le test de crédibilité de leur plan de réduction du déficit les obligera cependant de quitter les bras charmants de la Vénus du Crédit et de revenir eux aussi sur les terres de l'austérité.

Des risques multiples

Dans la grande constellation de risques politiques où évolue l'économie, il existe aussi une pluie de dangereux météorites susceptibles de frapper. Nos experts en ont identifié plusieurs:

> François Dupuis

On sous-estime peut-être la possibilité d'un effondrement du marché immobilier chinois qui entraînerait à son tour celui des prix des biens de base.

> Carlos Leitao

L'endettement des ménages canadiens et surtout leur faible taux d'épargne peut freiner la consommation davantage que ce qui est estimé.

> Maurice Marchon

On ne peut pas écarter une crise immobilière au Canada, même si les banques n'ont pas fait de prêts subprime. C'est un danger maintes fois évoqué par la Banque du Canada.

> Stéfane Marion

Le retour du protectionnisme. Quand on renégocie le contrat social, on assiste au retour des réflexes d'imposer des tarifs ou des contraintes à ce qui vient de l'étranger. C'est déjà dans l'air en Europe et aux États-Unis.