Avec une cinquantaine de productions hollywoodiennes à son actif, dont AvatarSin City et 300, la boîte québécoise d'effets spéciaux Hybride s'est hissée aux plus hauts sommets. Au point où certains studios pensent que son code régional 450 à Piedmont est celui d'une banlieue de Los Angeles. «C'est la boîte d'effets spéciaux qui m'en donne le plus pour mon argent», dit le cinéaste Robert Rodriguez, qui a réalisé les effets spéciaux de 11 films avec Hybride. Pas mal pour une entreprise née des suites d'une faillite il y a 20 ans.

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«À quelle heure pouvez-vous être à la réunion dans nos bureaux demain matin?»

Chaque fois, la question fait sourire Pierre Raymond. Le président d'Hybride Technologies doit alors expliquer à son interlocuteur hollywoodien la cause de son absence: ses bureaux sont situés à Piedmont dans les Laurentides, à l'autre bout du continent nord-américain. «Il y a des gens à Hollywood qui pensent que le code régional 450 est une banlieue de Los Angeles», dit-il.

Depuis 20 ans, Hybride, une entreprise québécoise achetée par l'éditeur français de jeu vidéo Ubisoft en 2008, s'est fait une place de choix à Hollywood. Chaque année, ses 100 employés produisent environ une heure d'effets spéciaux pour trois ou quatre superproductions de la trempe de Sin City, 300, la série des Spy Kids. Ou encore Avatar, une consécration venue dans des drôles de circonstances. Le mandat du réalisateur James Cameron s'est retrouvé dans les bureaux d'Hybride après que la boîte néo-zélandaise de Peter Jackson, Weta - la meilleure boîte d'effets spéciaux du monde, selon Pierre Raymond -, eut été obligée de partager son contrat. Quatrième fournisseur d'effets spéciaux en importance sur Avatar, Hybride a produit 11 minutes du long métrage - un ratio d'une minute à l'écran par mois de travail! Au total, Hybride a travaillé sur 180 plans, pour n'en voir finalement que 114 dans la version finale du film. Au grand écran, il n'y a pas que les acteurs qui sont coupés au montage. «James Cameron est un réalisateur extrêmement exigeant mais d'une grande courtoisie, dit Pierre Raymond. Il voit à long terme. Des fois, on faisait une animation complète en 3D pour un truc qui allait finir sur une grandeur de trois pixels en arrière. Avec lui, tout doit être parfait car le contenu sera peut-être réutilisé dans une suite...»

Le réalisateur fétiche d'Hybride reste Robert Rodriguez, qui a réalisé 11 films dont Sin City et les quatre Spy Kids avec la boîte d'effets spéciaux de Piedmont depuis 1998. «Les gens d'Hybride sont très créatifs. J'ai toujours très hâte de faire les effets spéciaux d'un film avec eux», a indiqué Robert Rodriguez à La Presse Affaires par courriel. Le réalisateur a fait la connaissance d'Hybride grâce à son collègue Guillermo Del Toro, qui avait réalisé les effets spéciaux de son film Mimic à Piedmont en 1997. «Eux, ce sont de vrais artistes!», a dit Guillermo Del Toro à son ami Rodriguez.

À la demande de Rodriguez, Hybride est revenu l'an dernier à ses anciennes amours: la publicité. De 1991 à 1994, Hybride a tourné presque exclusivement des pubs québécoises. L'entreprise a ensuite délaissé la publicité pour se concentrer sur le grand écran. Jusqu'à ce que Robert Rodriguez tourne une pub de Nike en 2010 avec le joueur de basket Kobe Bryant dans le rôle-titre du Black Mamba et l'acteur Bruce Willis et le chanteur Kanye West dans des rôles de soutien. Les effets spéciaux de Hybride ont été vus par 3,4 millions d'internautes sur YouTube. «Robert nous a appelés pour nous dire qu'il avait un ou deux problèmes qu'il ne pouvait pas régler», explique Pierre Raymond.

Ce n'était pas la première fois qu'un réalisateur hollywoodien composait le code régional 450 en catastrophe. «Nous avons beaucoup d'appels de type «911», dit Pierre Raymond. Les gens savent que nous avons beaucoup de logiciels à l'interne pour corriger toutes sortes de choses, un mauvais éclairage de tournage par exemple.»

L'ingénierie explique une bonne partie des succès d'Hybride, «un studio entre deux sapins à Piedmont», aime préciser Pierre Raymond. Son logiciel de téléconférence HYSYNC, conçu en 2003 pour accepter des plans et dessiner des images en temps réel à distance, est devenu un outil de travail indispensable. «On l'a même loué à d'autres boîtes à Los Angeles, dit Pierre Raymond. Avec le trafic, certaines personnes n'arrivaient pas à se rendre à temps à leurs rendez-vous au studio et préféraient travailler de leurs bureaux en temps réel avec notre logiciel...»

À Hollywood, des milliers d'entreprises se partagent les centaines de millions de dollars - presque un milliard, chuchote-t-on dans le milieu - en contrats d'effets spéciaux. Les boîtes des cinéastes George Lucas (Industrial Light&Magic) et Peter Jackson (Weta Digital) sont les plus importantes, avec chacune environ 450 employés. Avec ses 100 employés à Piedmont, Hybride ne peut rivaliser en taille autant qu'en chiffre d'affaires (celui d'Hybride est d'environ 10 millions par année). Malgré tout, pas question de déménager à Los Angeles. «Nous pourrions en faire beaucoup plus, mais nous perdrions l'essence de notre entreprise, dit Pierre Raymond. À Los Angeles, il n'y a pas de sentiment d'appartenance. Les entreprises ont un noyau d'employés, après ce sont des regroupements sporadiques de pigistes.»

À défaut de miser sur sa taille, Hybride s'est bâti une réputation enviable à Hollywood, où l'entreprise brasse 80% de ses affaires. «J'ai travaillé avec plusieurs entreprises d'effets spéciaux au fil des ans, et c'est toujours Hybride qui m'en donne le plus pour mon argent», dit Robert Rodriguez.