Asseyez-vous avec le président d'une entreprise en démarrage et les chances sont bonnes qu'il vous parle de la croissance fulgurante du nombre de ses employés ou des financements records qu'il a raflés.

Pierre Falardeau, président de la firme de biotechnologie Oncozyme, tient un autre discours.

Après 13 ans d'activité, la boîte qu'il dirige ne compte que 4 employés. Oncozyme n'a ni véritables bureaux ni laboratoires dignes de ce nom, préférant tisser des alliances avec les universités.

Quant au financement, on a déjà vu plus spectaculaire. Sans révéler de chiffres exacts, M. Falardeau affirme qu'Oncozyme a récolté «quelques millions» au fil des ans pour faire ses recherches, payer ses employés et tester ses médicaments sur les patients.

Sur plus d'une décennie, ce n'est pas particulièrement faste.

Cette modestie, pourtant, Pierre Falardeau en est fier.

«J'aurais pu essayer d'amasser 20 millions cette année, engager du monde, monter une équipe clinique et une équipe scientifique, louer des locaux et acheter de l'équipement. J'aurais pu tout faire ça. On aurait brûlé les 20 millions en trois ans. Et si on avait raté notre coup, ça aurait été impossible de refinancer l'entreprise», dit-il.

Ce vieux routier de l'industrie, qui a pris la barre de l'entreprise en juin 2010 à l'invitation des investisseurs, préfère gérer son entreprise comme on dispute une partie d'échecs. Pour l'instant, il positionne patiemment ses pions. Mais c'est pour mieux préparer son attaque.

Une longue maturation

Pour comprendre la stratégie de Pierre Falardeau, il faut retourner en 1998 dans les laboratoires de l'Université McGill, quand des chercheurs découvrent une façon de bloquer la réparation de l'ADN qui se fait naturellement dans les cellules.

L'affaire éveille tout de suite l'attention pour son potentiel dans le traitement du cancer. Il faut savoir que la chimiothérapie utilisée contre la maladie brise l'ADN des cellules cancéreuses pour les empêcher de proliférer. Le hic: ces cellules finissent par se réparer naturellement, et il faut augmenter les doses pour les briser de nouveau.

En s'attaquant à cette réparation naturelle, les chercheurs espèrent ainsi pouvoir augmenter l'efficacité de la chimiothérapie. Le plus beau de l'histoire, c'est que l'agent actif utilisé par Oncozyme, la pentamidine, est une molécule déjà sur le marché, et notamment utilisée pour traiter des pneumonies. Comme cet agent a déjà été testé sous toutes ses coutures, sa mise au point est moins risquée pour Oncozyme.

Dès le départ, une poignée d'anges financiers, parmi lesquels on compte Marcel Côté, fondateur de Secor, acceptent de financer la croissance de l'entreprise. Les années suivantes sont consacrées à faire des tests en laboratoire et sur les animaux.

Ce n'est qu'en 2007, près de 10 ans plus tard, que les premiers tests sur des patients sont effectués.

«La maturation scientifique a été extrêmement lente, admet M. Falardeau. Mais cette maturation lente a permis de peaufiner la science et de garder l'investissement bas. Aujourd'hui, ça joue en notre faveur.»

Plutôt que d'entreprendre de coûteuses études sur un grand nombre de patients, Oncozyme préfère lancer plusieurs études exploratoires sur de petites cohortes de patients atteints du cancer du côlon, du poumon et du sein.

C'est en analysant les données qui en découlent que Pierre Falardeau fait une découverte qu'il qualifie de «remarquable».

Chez un sous-groupe de six patients, tous atteints d'un cancer du côlon avec métastases et tous en train de subir leur «deuxième ligne» de traitement de chimiothérapie, le produit d'Oncozyme semble s'avérer particulièrement efficace.

Ces patients, à qui les médecins donnaient en moyenne 12 mois à vivre, voient leur durée de vie plus que doubler pour atteindre 27 mois. L'un d'entre eux est Alain Gourd, un homme bien connu dans l'industrie des communications qui a notamment présidé BCE Média. Atteint d'un cancer colorectal comptant 14 métastases qu'on lui prédisait fatal, il est aujourd'hui en rémission.

«Plusieurs facteurs ont pu jouer. Mais dans mon esprit, il est clair que le facteur déterminant fut la pentamidine», a dit à La Presse Affaires cet homme maintenant en santé.

Voyant cela, Oncozyme a lancé au printemps dernier une nouvelle étude sur 31 patients ayant exactement le profil des 6 qui avaient bien réagi au produit (l'équivalent d'une phase II dans le langage pharmaceutique).

«On espère répéter les résultats qu'on a vus préalablement avec les six patients. Si c'est le cas, ça démontrera statistiquement le bénéfice de notre produit», dit Pierre Falardeau.

Le grand verdict est attendu pour 2013. S'il est positif, Oncozyme a bon espoir d'attirer les investisseurs ou les partenaires pour lancer la dernière série des coûteuses études nécessaires avant de commercialiser un médicament, soit l'étude de phase III. Le temps des embauches et des importantes sommes d'argent sera enfin venu.

Si l'étude en cours s'avère négative, de sérieuses questions se poseront pour l'avenir d'Oncozyme. Mais dans tous les cas, Pierre Falardeau se félicite d'avoir procédé avec soin, menant d'abord de petites études exploratoires peu coûteuses afin de découvrir sur quels patients son produit avait les meilleures chances de faire ses preuves.

«Notre job, ici, c'est de gérer le risque, dit-il. Notre stratégie, ça a été de minimiser ce risque jusqu'à ce qu'on ait une preuve de concept que notre produit est efficace. Une preuve qu'on pense bien avoir d'ici deux ans et demi.»

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ONCOZYME

Fondateurs

Terry Chow, David Griller, Mohammed Haji et Leonard Yuen

Président

Pierre Falardeau

Investisseurs

Plusieurs anges financiers dont Marcel Côté, associéfondateur de Secor, Reginald Weiser, fondateur de la boîte de télécommunications Positron Power, et Lorne Trottier, fondateur de Matrox

Le concept en 140 caractères

«Créer un médicament contre le cancer à partir d'une molécule connue permettant l'accès à des revenus à court terme.» - Pierre Falardeau

Objectif d'ici un an

Terminer le recrutement de 31 patients atteints du cancer du côlon avec métastases pour confirmer les résultats obtenus lors d'une étude précédente.» - Pierre Falardeau