Le torchon brûle entre Quebecor et Bell Canada. Quebecor accuse Bell d'avoir délibérément toléré le piratage au début des années 2000 pour implanter son service de distribution télé Bell ExpressVu au Québec. Quebecor réclame 304 millions de dollars à son concurrent dans ce litige entendu depuis mardi par la Cour supérieure.

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«J'avais moi-même constaté la facilité de pirater. C'était les pratiques de commercialisation de Bell ExpressVu. (...) Selon nos informations, le taux de piratage était de 27% chez Bell Express Vu. Il était assez évident qu'on perdait à la fois des clients potentiels et actuels», a dit hier Robert Dépatie, président et chef de la direction de Vidéotron, lors de son témoignage devant le juge Joël Silcoff.

Pour convaincre les tribunaux de lui donner raison, Quebecor a sorti l'artillerie lourde en début de litige. Le président et chef de la direction de Quebecor, Pierre Karl Péladeau, a témoigné mardi et hier matin au palais de justice de Montréal. Robert Dépatie de Vidéotron et le grand patron de TVA, Pierre Dion, se sont également amenés à la barre hier.

Dans ses documents déposés en cour, Quebecor allègue que Bell ExpressVu (aujourd'hui Bell Télé) «utilise sa technologie [...] de façon négligente, faisant en sorte que la sécurité de son réseau a été et continue d'être compromise (piratée) et le contenu qu'elle distribue volé, à grande échelle, ce qui cause d'importants dommages (à Quebecor)». Selon Quebecor, Bell «ne prend pas les mesures nécessaires et efficaces pour empêcher» le piratage alors que l'entreprise «est au courant du phénomène». Bell aurait «agi de la sorte dans le but apparent d'inonder le marché de son équipement satellite numérique, pour s'approprier d'importantes parts de marché», un comportement «illégal et anticoncurrentiel».

Depuis mardi, le juge Joël Silcoff entend quatre recours de Quebecor contre Bell. Dans le plus important des quatre recours, Vidéotron demande d'être dédommagée pour 299 millions de dollars, soit 41 millions pour les pertes de profits entre 2002 et 2005, 248 millions pour les profits perdus entre 2005 et 2015, ainsi que 10 millions en dommages exemplaires. En clair, Vidéotron veut être dédommagée pour 25% de ses abonnés perdus entre 2005 et 2015. Dans les autres recours, TVA demande 3,5 millions pour piratage (1,5 million en pertes de redevances, 2 millions en dommages exemplaires) et 1,9 million pour redevances impayées. TVA demande finalement une injonction pour pouvoir vérifier les livres de Bell ExpressVu.

Parmi les fautes de Bell, Quebecor dénonce notamment «l'absence de contrôle» des clients, l'absence de connexion de Bell ExpressVu à une ligne téléphonique, la facilité de modifier une carte d'accès, ainsi que les mesures insuffisantes et l'absence de coordination contre le piratage. Chez Vidéotron, une ligne piratée reste liée à la ligne principale. «Si une personne change de poste, l'autre change en même temps, dit Robert Dépatie. Ça n'aurait pas été très pratique de pirater.»

Bell, qui n'a pas fait parvenir ses documents déposés en cour à La Presse Affaires, nie les allégations de Quebecor. En plus, Bell fait valoir que les ennuis de Vidéotron entre 2002 et 2005 ne sont pas seulement liés au piratage de ses concurrents. En contre-interrogatoire hier, les avocats de Bell ont tenté de le faire admettre à Robert Dépatie, lui mettant notamment sous le nez un article du National Post de 2001 dans lequel un haut dirigeant de Quebecor à l'époque, Luc Lavoie, décrivait l'inefficacité du service à la clientèle de Vidéotron. «Oui, on avait besoin d'améliorer le service à la clientèle, mais la concurrence était aussi terrible à ce chapitre», dit Robert Dépatie.

Le grand patron de Vidéotron était un témoin particulièrement pertinent, d'autant plus qu'il était lui-même abonné à la fois à Bell et Vidéotron au début des années en litige. Il s'est désabonné de Bell ExpressVu peu après sa nomination comme président de Vidéotron en 2003. «Je l'ai gardé un bout de temps, mais c'était un peu mal vu, surtout que la soucoupe était assez voyante chez moi», a dit Robert Dépatie au juge Joël Silcoff, qui doit entendre les témoins de Quebecor et Bell l'automne prochain et les plaidoiries des avocats en janvier 2012.