La Suisse a lancé une nouvelle offensive-surprise dans la guerre larvée des taux de change afin d'affaiblir sa monnaie contre l'euro.

D'autres développements sont à prévoir sur ce front cette semaine, marquée par la réunion statutaire de neuf banques centrales, dont celle du Japon ce matin, aussi très inquiète de la grande force du yen face au dollar américain.

Plus tard, ce sera au tour des banques de Corée du Sud, d'Indonésie, des Philippines, d'Angleterre, de Suède et d'Europe d'annoncer leurs couleurs.

«La surévaluation actuelle du franc est extrême, a indiqué hier la Banque nationale de Suisse (BNS) dans un communiqué. Elle constitue une grave menace pour l'économie suisse et recèle le risque de développements déflationnistes. La BNS vise par conséquent un affaiblissement substantiel et durable du franc. Dès ce jour, elle ne tolérera plus de cours inférieur à 1,20 franc pour un euro sur le marché des changes. La BNS fera prévaloir ce cours plancher avec toute la détermination requise et est prête à acheter des devises en quantité illimitée.»

La menace a porté ses fruits. Dans les minutes suivant cette annonce, le cours du franc par rapport à l'euro est passé 1,10 à 1,21 franc. La monnaie helvétique s'est affaiblie contre toutes les autres. Face au huard, elle est passée de 1,26$ à 1,15$.

«Il s'agit d'un développement extrêmement intéressant, commente Frédéric Mayrand, premier vice-président, taux d'intérêt et changes, chez BNP Paribas Canada, Il ne serait pas surprenant que la spéculation teste la banque centrale. La partie n'est pas jouée, mais la Banque a gagné la première manche.»

La BNS risque gros en étant prête à imprimer de l'argent tant qu'il en faudra pour déprécier sa monnaie. Face à la zone euro, la Suisse accuse un déficit commercial. Trop affaiblir le franc peut relancer l'inflation de manière dangereuse.

L'économie helvète est étouffée par la très rapide appréciation du franc qui mine ses exportations. La Suisse ne vend pas qu'un des meilleurs chocolats du monde. Elle compte aussi plusieurs très grandes multinationales manufacturières: Swatch, ABB, Hofmann LaRoche, Novartis, pour n'en nommer que quelques-uns et quelques très importants acteurs financiers dont UBS, Crédit suisse et Swiss Re.

L'an dernier, il fallait 1,40 franc pour acheter un euro. Plus tôt cet été, le franc a frôlé la parité, avant de faiblir après que la banque centrale eut ramené son taux directeur à zéro.

Le franc suisse est victime des déboires de l'euro, engendrés par la crise de la dette souveraine de certains de ses pays membres.

Le geste de la BNS reste quand même paradoxal. «Elle permet implicitement aux mauvais pays de continuer à s'endetter puisqu'elle est prête à acheter leur dette, constate François Barrière, vice-président, développement des affaires, marchés internationaux, à la Banque Laurentienne. Ce qui me fait peur, c'est qu'elle achète des euros et les échange pour des dollars canadiens.»

En pareil cas, le huard pourrait s'apprécier comme ce fut le cas au printemps quand la Suisse a choisi de diversifier ses réserves internationales.

Cela dit, plusieurs forces jouent contre notre monnaie dans un contexte où investisseurs et spéculateurs éprouvent une grande aversion pour le risque. Le déficit de 15,2 milliards de notre compte courant, équivalent à 3,6% du produit intérieur brut (PIB) sur une base annuelle, et la légère décroissance de l'économie, au deuxième trimestre, rendent le huard moins affriolant.

La Banque du Canada va sans aucun doute annoncer ce matin le maintien de son taux directeur à 1% durant quelques mois.

Voilà pourquoi la Banque Nationale prédit qu'il passera bientôt sous la parité avant de la retrouver durant le printemps.

Si les banques centrales se relancent dans une guerre des taux de change, alors le huard pourrait vivre beaucoup de soubresauts. «La Banque du Canada doit demeurer flexible», insiste Stéfane Marion, économiste en chef de l'institution de la rue De La Gauchetière.