La Grande Récession de 2008-2009 dont plusieurs pays émergent avec peine aura replongé dans l'indigence des dizaines de millions de personnes qui y avaient dernièrement échappé grâce à la mondialisation.

Même de grandes entreprises dotées d'un volet social, en particulier dans les pays en développement, ont dû le sabrer pour préserver leurs marges de profits. «Dans les périodes de crise, cette recherche l'emportera toujours sur les autres objectifs de l'entreprise, rappelle Muhammad Yunus, dans un dernier essai, Pour une économie plus humaine, Construire le social-business.

Le Prix Nobel de la paix 2006 y décrit la poursuite de sa démarche amorcée il y a quelques années avec la création de Grameen Bank, spécialisée dans le microcrédit auprès des femmes du Bangladesh, un des pays les plus pauvres du monde.

Dans sa quête originale pour vaincre la pauvreté, Yunus a développé une forme d'entreprise privée dont la recherche du profit n'est pas le but ultime, mais plutôt une condition de pérennité. «Son objectif consiste à résoudre un problème social en utilisant les méthodes forgées par le monde de l'entreprise pour créer et commercialiser des biens et des services», écrit-il.

Un social-business doit donc pouvoir s'autofinancer (à la différence d'une organisation caritative ou une ONG dont une bonne part des activités est dévolue à la recherche de fonds).

Son modèle d'affaires s'apparente plutôt à celui d'une petite coop dotée d'un objectif social.

L'autofinancement, ou l'impératif de ne pas faire de pertes, visent à éviter une dépendance d'entreprises ou d'individus riches.

Bien sûr, le social-business compte souvent de très grandes entreprises comme actionnaires. Elles doivent cependant renoncer à tout dividende et espérer seulement récupérer leur mise de fond.

Les profits d'un social-business servent à assurer son expansion et l'optimisation de ses processus industriels. L'entreprise doit être respectueuse de l'environnement et payer ses employés au prix du marché même si elle peut offrir de meilleures conditions, dont celle de travailler dans la joie.

«Dans une société où le social-business est une force économique, soutient Yunus, les citoyens n'auront plus à demander à l'État de lutter contre la pauvreté, la faim, le manque de logements ou la maladie: ils s'efforceront de trouver eux-mêmes les solutions en créant eux-mêmes leur propre entreprise, laquelle agira à petite échelle avant de se développer.»

Yunus consacre une grande part de son essai à décrire quelques social-business dans lesquels lui ou la Gramenn Bank ont été engagés à titre de conseiller ou de prêteur.

Initiatives originales

Il s'attarde aussi à montrer les obstacles que rencontrent ces entreprises, les démarches originales pour les surmonter. Ainsi, la coentreprise fondée avec Danone pour fournir du yogourt enrichi de nutriments aux enfants de la campagne bangladaise s'est-elle heurtée à des problèmes de distribution et de prix. Elle a pu cependant les surmonter grâce à l'engagement de ses employés, de ses paysans fournisseurs de lait et d'enquêtes sur le terrain menées par une équipe de gestionnaires très dévouée.

Vendre de l'eau potable à des gens dont la fierté est d'avoir un puits artésien dans sa cour n'a pas été simple. C'était pourtant essentiel pour éradiquer plusieurs maladies liées à la qualité d'une eau qui contient naturellement de l'arsenic dans ce pays. Avec l'expertise de la multinationale Veolia, on serait en voie d'y parvenir.

L'alliance avec le géant allemand BASF est aussi très originale. Pour combattre les maladies transmises par les insectes, on a mis au point des moustiquaires dotées de propriétés insecticides grâce à des brevets que la multinationale détenait, mais avait renoncé à exploiter.

Yunus donne aussi l'exemple d'une coentreprise médicale où on vise la guérison de maladies répandues dans le tiers monde, mais devenues rares dans les économies avancées. On poursuit un double objectif: guérir des malades et constituer une banque de données susceptibles de nourrir la recherche.

Bref, ce n'est pas par charité qu'il y a ces coentreprises, mais la recherche du profit est absente de la démarche. «Les pays riches consacrent chaque année plus de soixante milliards à la lutte contre la pauvreté, rappelle Yunus. Le problème n'est pas le manque de ressources: c'est l'incapacité de notre système économique à mettre ces ressources à la disposition de ceux qui en ont le plus besoin.»

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Muhammad Yunus. Pour une économie plus humaine. Contruire le social-business. JC Lattès. 305 pages.