L'acquisition de Motorola Mobility (MMI) par le géant Google (GOOG) pour 12,5 milliards US risque fort de redessiner l'industrie mondiale du sans-fil au cours des 18 prochains mois.

Google a fait sa marque depuis 2007 en téléphonie mobile avec sa plateforme d'exploitation ouverte Android, mais il ne pouvait se targuer d'offrir des appareils «maison». Avec la plus importante acquisition de son histoire, annoncée hier matin, le groupe californien sera en mesure d'offrir à moyen terme des téléphones intelligents et tablettes tactiles capables de concurrencer les leaders du marché, estiment des analystes.

«On peut s'attendre à de grandes choses: les gens de chez Google s'en vont à la guerre pour capturer notre imaginaire... et notre portefeuille», a lancé à La Presse Affaires Iain Grant, président du SeaBoard Group, une firme montréalaise spécialisée en télécommunications.

La relation étroite entre Google et Motorola remonte à 2008, quand l'équipementier a choisi la plateforme ouverte et gratuite Android pour alimenter tous ses téléphones intelligents. Une quarantaine de fabricants, dont Samsung et HTC, ont aussi commencé à offrir Android sur plusieurs de leurs appareils, si bien que le système d'exploitation de Google est maintenant le plus utilisé dans le monde. Ses parts de marché ont grimpé de 17% en 2009 à 43% l'an dernier, selon la firme Gartner.

Google promet qu'Android demeurera une plateforme ouverte et accessible à tous les manufacturiers, malgré le rachat de Motorola. Iain Grant croit toutefois que cette alliance incitera certains concurrents à chercher d'autres options. «Ils pourraient se tourner vers les plateformes Microsoft - comme Windows 7 - à la place.»

L'analyste s'attend en outre à ce que Google/Motorola lance une série de nouveaux appareils d'ici environ 18 mois, pour autant que les ingénieurs des deux groupes arrivent à bien marier leurs forces. «Cette combinaison risque d'augmenter la pression sur Apple.»

La façon dont les futurs appareils seront commercialisés n'est pas encore claire. Google a déjà tenté de vendre le Nexus One de HTC (appelé «Google phone» par plusieurs) dans une boutique en ligne, mais l'aventure a pris fin l'an dernier en raison de résultats décevants.

Prix très salé

L'acquisition annoncée hier donne une valeur de 40$ US aux actions de Motorola Mobility, soit une surprime de 73% par rapport au prix moyen des 20 derniers jours d'échange. En comparaison, les quelque 360 transactions réalisées depuis cinq ans dans le secteur des équipements sans fil accolaient une plus-value de 32% à la cible d'achat, indiquent les calculs de l'agence Bloomberg.

Pourquoi Google paie-t-il un prix si élevé, à même ses liquidités de 39 milliards US, pour un équipementier déficitaire? La valeur repose en bonne partie dans les 17 000 brevets détenus par Motorola.

Google a tenté sans succès de mettre la main sur les 6000 brevets et demandes de brevets du géant canadien déchu Nortel, qui lui ont été ravis le mois dernier par un consortium comprenant Apple et Research In Motion (RIM). À la surprise générale, la vente a rapporté la somme mirobolante de 4,5 milliards.

Cette fois, Google a décidé de mettre le gros prix. Une stratégie d'autant plus cruciale que les batailles touchant la propriété intellectuelle de sa plateforme Android se multiplient devant les tribunaux. «Notre acquisition de Motorola avivera la concurrence en renforçant le portefeuille de brevets de Google, ce qui nous permettra de mieux protéger Android contre les menaces anticoncurrentielles de Microsoft, Apple et des autres sociétés», a déclaré Larry Page, président de Google, sur le blogue de l'entreprise.

Virage de Motorola

Motorola, qui émerge d'une période très difficile, a entrepris un virage majeur vers les téléphones intelligents en 2010. Le nombre de ces appareils (capables de naviguer sur internet, d'offrir l'accès aux courriels, etc.) vendus par le groupe est passé de 2 millions en 2009 à 13,7 millions l'an dernier, ce qui laisse malgré tout Motorola au 8e rang mondial dans ce créneau, selon la firme Cannacord Genuity.

Devant l'insistance d'importants actionnaires, la société-mère de Motorola s'est scindée en deux entités en janvier dernier dans le but de se délester de sa division sans fil. Cette filiale, qui a lancé le premier cellulaire il y a presque 30 ans, a perdu 86 millions US pendant le dernier exercice financier, une performance en progrès par rapport au trou de 1,34 milliard US enregistré en 2009.

L'annonce du rachat a propulsé l'action de Motorola en Bourse hier. Le titre a gagné 56% à New York, pour clôturer à 38,12$US. Celui de Google a quant à lui reculé de 1,2% sur le NASDAQ, à 557,23$US.

Les conseils d'administration des deux entreprises ont approuvé à l'unanimité la transaction, qui sera étudiée de très près par des autorités réglementaires déjà méfiantes envers Google. Selon une source citée par Bloomberg, Google s'est engagé à payer des frais de rupture de 2,5 milliards US si l'acquisition devait tomber à l'eau, tandis que Motorola devra verser 375 millions US si elle cause l'échec de l'entente.

Revenus (2010): 29,3 milliards US (+24% sur un an)

Profits (2010): 8,5 milliards (+30%)

150 millions d'utilisateurs de sa plateforme mobile Android

Fermeture en Bourse hier: 557,23$US

Motorola Mobility*

Revenus (2010): 11,5 milliards US (+4% sur un an)

Perte (2010): 86 millions US (moindre que la perte de 1,34 milliard enregistrée en 2009)

13,7 millions de téléphones intelligents livrés (37% de tous ses appareils)

Fermeture en Bourse lundi le 15 août 2011: 38,12$US

* Cette entreprise a été séparée de la société mère Motorola le 4 janvier 2011

Prix offert par Google pour acheter Motorola Mobility

40$

Prix offert pour chaque action de Motorola Mobility, payé au comptant

63%

Surprime par rapport à la clôture du titre de Motorola Mobility vendredi dernier