Il fut un temps où les ingénieurs québécois s'exilaient à la Baie James pour déployer leur expertise. Aujourd'hui, c'est de l'Algérie à Abu Dhabi en passant par Trinidad et Tobago qu'ils sont appelés en renfort. Une internationalisation de la profession qui amène son lot de défis, de surprises et de découvertes pour ceux qui partent.

Jean-Philippe Drouin, chargé de projet chez Dessau, se souvient d'avoir été surpris de se voir offrir un plongeon à l'international après seulement quelques années de pratique.

«Dessau avait gagné un gros mandat en Algérie. Ils m'ont demandé si je voulais y aller. J'avais 27 ans, j'ai dit oui», raconte-t-il.

Il atterrit à Oum El Bouaghi, une petite ville où acheter un simple tube de dentifrice non frelaté relève du défi. Sa mission: surveiller la construction d'une voie ferrée de 165 kilomètres.

«Il y a eu un bon choc», dit-il, relatant les repas de tête de mouton grillée et les joies de partager un appartement avec un collègue... dans le même édifice que les bureaux de l'entreprise.

L'Association des ingénieurs-conseils du Québec (AICQ) affirme que les deux tiers des 46 firmes qu'elle représente sont aujourd'hui actives hors du Québec, réalisant des mandats dans plus de 200 pays.

«Le génie québécois s'internationalise de plus en plus», dit Johanne Desrochers, PDG de l'AICQ.

Louis-Philippe Simoneau, ingénieur en automatisation chez BBA, est quant à lui parti vivre 13 mois à Dubaï avec sa conjointe et leurs filles de 15, 14... et 1 an. En acceptant de participer à la construction de l'une des plus grosses alumineries au monde, à Abu Dhabi, il était bien conscient de déraciner sa famille.

«La première fois qu'on leur a parlé d'aller là-bas, les filles se sont effondrées, raconte-t-il. Trop d'émotions, trop de questionnements.»

École en anglais, culture musulmane, réseau social à refaire: les débuts ont été difficiles, admet M. Simoneau. Mais tout le monde a fini par adorer son expérience.

»Dans le sang»

Marina Staingart, elle, dit avoir «l'international dans le sang». Originaire de l'Ouzbékistan, elle a profité de ses études à l'École polytechnique de Montréal pour faire un échange en Espagne.

Après avoir travaillé en France, elle est revenue au Québec pour aussitôt repartir sur des «missions»: des séjours à l'étranger d'une semaine pendant lesquels le boulot et la pression ne manquent pas.

Envoyée à Trinidad et Tobago par Dessau pour y régler les problèmes de circulation automobile, elle se souvient d'être restée elle-même prise dans un bouchon épouvantable. Elle finit par découvrir la cause du problème: une boutique de rhum particulièrement populaire qui attire les foules.

«Il faut apprendre à penser autrement à l'étranger», lance en riant celle qui travaille aujourd'hui pour AECOM et espère maintenant partir pour l'Afrique.

«Il y a des parties frustrantes, confirme Jean-Philippe Drouin. Ici, on est habitués à des façons de faire, à ce que ça avance. Là-bas, il faut changer son regard, sinon on devient fou.» Délais, embûches et malentendus culturels font en effet partie intégrante du travail à l'étranger.

C'est dans les années 70 et 80, sous l'impulsion des projets lancés par l'Agence canadienne de développement international, que les ingénieurs québécois ont commencé à se faire la main aux quatre coins du monde.

«Ça a permis de développer les aptitudes et les attitudes nécessaires à l'exportation, dit Johanne Desrochers, de l'AICQ. Et de là, ça s'est agrandi.»

Des femmes voilées en bikini aux moutons dans les Renault 5 en passant par les cafés saupoudrés d'or de Dubaï, les ingénieurs québécois en ont aujourd'hui des vertes et des pas mûres à raconter. Mais l'avertissement le plus sérieux vient certainement de Jean-Philippe Drouin, de Dessau: «Ne traitez jamais quelqu'un de tête de cochon dans un pays musulman, dit-il. Ça ne passe tout simplement pas.»