Même si l'industrie de la construction ne représente que 7% de l'économie canadienne, elle est responsable du tiers de l'économie souterraine, révèle une récente étude de Statistique Canada. Selon un expert joint hier, des organisations criminelles sont en grande partie responsables du problème.

L'évasion fiscale des entreprises et le travail au noir restent endémiques dans la construction, cette industrie qui s'est retrouvée au coeur de plusieurs controverses au cours des derniers mois. Dans une étude publiée la semaine dernière, l'organisme fédéral estime à 11 milliards de dollars la valeur de l'économie au noir dans le secteur au pays en 2008. C'est 30% de l'économie souterraine du Canada.

Statistique Canada n'a pas mesuré l'ampleur de l'économie au noir dans les provinces. Mais, sachant que le Québec génère environ 17% de l'activité en construction au pays, les sommes qui sont échangées sous le radar dans cette seule industrie pourraient atteindre 1,9 milliard de dollars dans la province.

L'un des auteurs de l'étude, Conrad Barber-Dueck, convient qu'il est difficile de tracer un portrait précis de l'économie souterraine, justement parce qu'elle est illégale.

«L'industrie pourrait devenir un peu plus concentrée et de grandes entreprises tendent à accaparer une part plus grande du marché, souligne le chercheur. Ces entreprises pourraient être moins portées à travailler sous le radar. Mais ce n'est que l'une des théories que nous avons avancées.»

Une économie criminalisée

Quoi qu'il en soit, les organisations criminelles sont responsables d'une large part de l'économie souterraine dans la construction, affirme Messaoud Abda, qui dirige le programme de lutte contre la criminalité financière à l'Université de Sherbrooke.

«L'économie souterraine est largement criminalisée, estime ce chercheur. Il y a peut-être 20% d'innocents qui la pratiquent bon gré, mal gré, mais à plus de 80%, je dirais que c'est criminalisé. Ça prend une structure, une organisation, une compréhension des lois et des techniques, des circuits au niveau de la douane et de la police, etc.»

M. Abda souligne qu'il y a toujours eu une culture de l'argent liquide dans la construction, et que bon nombre d'emplois sont précaires ou temporaires. Surtout, il montre du doigt l'importance des syndicats qui, en contrôlant des pans entiers de la main-d'oeuvre, encouragent à la fois le travail au noir et l'évasion fiscale des entreprises.

«Vous avez tous les ingrédients pour que, si quelqu'un a envie de frauder, il va aller là-dedans», résume-t-il.

«C'est un secteur qui est propice», convient le porte-parole de la Commission de la construction du Québec (CCQ), André Martin. Selon lui, le problème est plus criant dans la rénovation résidentielle, un secteur qui est peu réglementé.

L'organisme recense 24 000 entreprises de construction dans les secteurs résidentiel, commercial et institutionnel, ainsi que dans les travaux publics. Du nombre, 85% comptent cinq employés ou moins.

«Chaque année, à peu près 1000 entrepreneurs disparaissent et 1000 apparaissent, souligne M. Martin. Il n'y a pas de sécurité d'emploi, ni de lieu de travail fixe. Souvent, les entreprises n'ont même pas de bureau d'affaires fixe. C'est donc un secteur instable et qui varie d'une année à l'autre.»

Les autorités québécoises tentent depuis des années de freiner le travail au noir dans la construction. Et ces efforts commencent à porter leurs fruits, selon la Commission de la construction du Québec.

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LES TROIS PILIERS DE L'ÉCONOMIE SOUTERRAINE

Proportion de l'économie souterraine / Proportion de l'ensemble de l'économie*

Construction: 30% / 6,90%

Commerce de détail: 16% / 5,70%

Hébergement et restauration: 12% / 2,20%

*En 2007 Source : Statistique Canada