Il faut en finir avec le modèle anglo-saxon des sociétés cotées en Bourse à l'actionnariat disséminé. Elles sont devenues la proie rêvée des fonds spéculatifs et d'investissement dont la seule raison d'être est la maximisation du profit à court terme tandis que leurs agissements mettent en péril le tissu industriel de sociétés entières prises pour payer leurs pots cassés.

«On ne peut se laisser paralyser par le mythe tenace de l'actionnaire comme propriétaire de l'entreprise quand il s'agit de spéculateurs de courte durée aux combines nocives pour l'entreprise, qui souvent ne risquent rien parce que protégés par des produits dérivés, écrivent Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu, dans leur joli brûlot plein de sagesse Plaidoyer pour un nouveau capitalisme. Il est risible de déclarer que ces gens et ces fonds sont les propriétaires légitimes de l'entreprise.»

Dans cet essai qui est l'adaptation française de Black Markets and Business Blues paru en 2009, Allaire et Firsihotu rappellent comment ces créatures du capital financier gavés d'argent par les dirigeants des caisses de retraite ont fait échouer la fusion logique d'Inco et de Falconbridge, les deux géants canadiens du nickel passés en des mains étrangères sous l'impulsion d'offres d'achat hostiles dirigées par des fonds nouvellement actionnaires et désireux d'empocher une forte prime que n'aurait pas permis une fusion par échanges d'actions.

Pour bien nous faire comprendre la nécessité, voire l'urgence d'une refonte très encadrée du fonctionnement des marchés, les auteurs nous brossent une solide synthèse des changements survenus dans la philosophie des dirigeants d'entreprises depuis les années 80. Cette mutation coïncide avec la déréglementation du système financier qui lui permet d'exercer une emprise toxique sur l'ensemble de l'économie et des entreprises.

Les auteurs ont soin au passage de nous expliquer les rouages de la grave récession de 2008-2009 qui tire précisément sa source des abus du système financier.

Cela leur permet de mieux asseoir leur programme de réformes qui attaque plusieurs fronts.

Brider la rémunération

La rémunération des dirigeants ne doit plus être liée seulement aux résultats trimestriels de l'entreprise, mais à sa performance à long terme. Les auteurs jugent excessif qu'un chef d'entreprise puisse gagner l'équivalent de 400 fois le salaire médian versé par son entreprise. Un ratio de 100 serait plus acceptable, à condition peut-être que le système des primes soit aussi réformé. Au bonus d'une bonne année, ils préconisent de jumeler un malus d'une mauvaise. Le bénéficiaire ne pourrait encaisser dans l'année d'obtention qu'une fraction de son bonus, la réserve servant à éponger un éventuel malus.

Ils se font les grands défenseurs de formes de propriétés alternatives à la société par actions sans actionnaire de contrôle.

Ils notent que les sociétés à capital fermé (Le Cirque du Soleil, Kruger, etc.), les coopératives (Desjardins, Agropur, etc.), les sociétés de personnes en nom collectif (Ernst&Young, Ogilvy Renault, groupe Secor), les sociétés avec un actionnaire de contrôle (Power Corporation, Bombardier, Rogers, etc.) et même les sociétés d'État (Hydro-Québec, SCHL, etc.) «donnent stabilité et durée à la propriété des entreprises et les protègent contre les manigances et les pressions indues des fonds spéculatifs». Ils demandent même à l'État de créer des conditions favorables à ces formes de propriété.

Pour les autres, qui restent le plus grand nombre, les auteurs proposent de modifier la loi sur les sociétés pour faire en sorte qu'un nouvel actionnaire obtienne son droit de vote seulement un an après détention du titre. Tout comme un touriste ou un nouvel arrivant n'ont droit de vote aux élections.

Cela entraverait les élans spéculatifs.

Les auteurs ne croient pas en la possibilité de vraiment brider les fonds spéculatifs, car ce sont des mutants. En revanche, ils suggèrent de limiter à 3% les placements des caisses de retraite dans des fonds qui exigent plus de 3% comme rémunération totale (fixe et variable) pour leurs services. Présentement, la rémunération variable (liée au rendement) d'un fonds spéculatif est de l'ordre de 20%. Les caisses canadiennes détenaient un actif de 1200 milliards au 31 décembre 2009.

Cela aurait l'immense avantage d'assécher ces fonds. «Les caisses de retraite devront peut-être passer des occasions de placement au rendement attrayant. Soit! À long terme les caisses de retraite et les collectivités ne s'en porteront que mieux.»

Yvan Allaire, Mihaela Firsirotu. Plaidoyer pour un nouveau capitalisme. IGOPP. 170 pages.