Printemps 2007, l'Occident est à l'orée de sa pire crise financière en 60 ans. À la surprise générale, le directeur du Fonds monétaire international (FMI), Rodrigo Rato, démissionne en invoquant des motifs personnels.

Au moment où il s'apprête à marier sa fille, Dominique Stauss-Kahn (DSK) téléphone à son ami, le premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, pour s'informer de sa santé. Celui-ci le convainc de se porter candidat à la succession de Rato.

L'idée lui sourit. DSK raccroche et demande à sa troisième femme, Anne Sinclair, si l'idée d'un séjour à Washington lui sied. «Tu sais bien que nous avons prévu d'aller au Maroc», lui aurait répliqué la télégénique présentatrice, selon Stéphanie Antoine qui relate l'anecdote dans son essai aux accents parfois «people» DSK au FMI: Enquête sur une renaissance.

Vite une croisade s'organise, car Rato aurait dû être le dernier Européen à la tête du gendarme financier des États. Nicolas Sarkozy et Romano Pradi soutiennent la candidature de DSK, qui fait sourciller Henry Paulson, secrétaire au Trésor de George W. Bush, qui hait les socialistes.

DSK obtient l'appui de l'Union européenne, de plusieurs États d'Afrique et d'Asie. Fin septembre, il emménage dans ses nouveaux bureaux à Washington.

Réserves d'or vendues

Il commence par rétablir les finances du FMI par un important programme de départs volontaires qui réduira l'effectif de 600 personnes.

Il se lance ensuite dans une vaste campagne internationale de séduction pour redorer l'image d'un organisme perçu comme un père Fouettard ultralibéral. Pour ce faire, il crée un précédent en engageant à grands frais une firme européenne de relations publiques et une directrice des communications.

Il veut parvenir à prêter de l'argent aux États africains les plus pauvres à taux zéro ou quasi nul. Pour renforcer la puissance de feu du FMI, il met en vente une partie de ses réserves d'or. Il joue de chance: le prix du métal jaune est en pleine poussée. Il récoltera beaucoup plus qu'anticipé.

Ça tombe bien. La crise financière éclate et plusieurs États auront besoin de l'aide du FMI: l'Islande, la Hongrie, l'Ukraine, la Géorgie, le Pakistan, la Lettonie, la Pologne, la Roumanie. Les États paniqués mandatent le G20 pour activer une réforme du système financier. Le FMI s'y invite et s'impose rapidement comme sa colonne vertébrale sans pour autant accepter un rôle de régulateur qu'il veut voir attribuer au Forum sur la stabilité financière.

DSK se lance dans une autre tournée internationale pour faire comprendre que le FMI peut aider, même si sa médecine fait mal. Il donnera plusieurs conférences dans les universités et se prêtera au jeu difficile des questions des étudiants.

Biographie autorisée

L'épreuve suivante consistera à convaincre l'Union européenne qu'elle ne parviendra pas seule à résoudre la crise de la dette souveraine de plusieurs de ses pays membres. Pour le Vieux Continent, accepter l'aide du FMI équivaut à une humiliation.

Elle existera pourtant. Dans le Fonds européen de stabilité financière créé au printemps 2010 pour soutenir la Grèce, 250 des 750 milliards d'euros sont avancés par le FMI. La Grèce recevra 110 milliards, dont 30 provenant du FMI; c'est historiquement son prêt le plus important. Dans les mois qui suivent, l'Irlande puis le Portugal puiseront à leur tour dans les réserves du FESF.

«Dominique Strauss-Kahn a levé un tabou: le FMI persona non grata dans la zone euro au début de la crise grecque ne l'est plus, écrit Antoine. DSK l'oncle d'Amérique est venu en proche de la famille européenne. Il aura eu le dernier mot.»

On l'aura compris, cet essai est une biographie autorisée. DSK a accordé plusieurs entrevues à la journaliste. Elle en profite pour le positionner comme un éventuel candidat à la présidence de la République. Contraint au devoir de réserve, DSK lui confie néanmoins en guise d'épilogue que «l'ambition que doit avoir la pensée de gauche est d'instituer un espace politique à l'échelle de l'économie». C'est un peu ce que DSK aura réussi au FMI.

Stéphanie Antoine, DSK au FMI: Enquête sur une renaissance. Seuil 2011, 202 pages.