En Russie, un jeune homme d'affaires a trouvé une clientèle cible toute particulière pour faire fructifier son entreprise: les sourds. Et ils sont loin de lui tenir rigueur de profiter de leur handicap. Ne recevant qu'une aide dérisoire de l'État russe, les sourds sont plutôt reconnaissants qu'on prenne enfin en compte leurs besoins spécifiques.

«Pourquoi les riches sont-ils toujours de plus en plus riches? C'est parce qu'ils fondent des compagnies qui aident les gens d'une manière ou d'une autre.» Pour justifier son plan d'affaires, Andreï Melnikov cite l'entrepreneur et motivateur américain Robert Kiyosaki. Ainsi, s'il tire un bénéfice de la surdité de ses clients, ceux-ci en profitent tout autant, assure-t-il.

À 27 ans, Andreï Melnikov est déjà propriétaire de dizaines de petits commerces divers: pharmacies, salons de beauté, centres dentaires, bars, centres d'impression, etc. Il fait partie d'une nouvelle génération de «self-made-men» russes qui n'ont pas pu profiter des balbutiements de l'économie de marché après la chute de l'URSS. «À l'époque, il suffisait d'acheter en grandes quantités des produits dont tout le monde manquait pour les revendre et s'enrichir. Aujourd'hui, pour se démarquer, il faut développer des façons de faire plus novatrices», explique celui qui a démarré sa première entreprise - un petit journal publicitaire - à l'âge de 18 ans.

Son filon, il l'a trouvé en rencontrant un sourd il y a quatre ans. «Au début, en l'entendant parler je croyais que c'était un étranger avec un fort accent», se rappelle M. Melnikov. Mais Pavel Zdorik, le sourd en question, était plutôt un artiste-peintre bien russe qui avait dû se recycler dans la vente de produits cosmétiques pour survivre lorsque l'État providence soviétique était tombé en lambeaux.

En discutant avec lui, Andreï Melnikov a compris qu'en embauchant quelques employés maîtrisant le langage des signes dans au moins une succursale de chacune de ses sphères d'activité, il pourrait fidéliser la clientèle sourde. «Maintenant, ils n'ont plus de raisons d'aller ailleurs. En allant chez nous, ils trouvent des gens qui parlent leur langue». Et comme la Russie compte 13 millions de sourds et malentendants (près de 10% de la population), le marché est pratiquement inépuisable, souligne M. Melnikov. Désormais, ils représentent environ 30% du chiffre d'affaires de Mikam, sa compagnie, qui emploie elle-même une vingtaine de sourds.

Services multiples

Pour gagner leur confiance et ainsi élargir sa clientèle, Andreï Melnikov a aussi fondé une organisation communautaire sous le modèle coopératif. Elle est dirigée par celui grâce à qui tout a commencé, Pavel Zdorik. «Dès le départ, nous avons conclu une entente: Andreï s'occuperait de l'argent, et moi, des gens», explique ce dernier, répondant aux questions de La Presse en lisant sur les lèvres de son représentant.

En payant une cotisation de 1000 roubles (35$) par mois, les membres peuvent notamment bénéficier de services d'interprète et de taxis avec un chauffeur maîtrisant la langue des signes. L'organisation pallie ainsi le manque d'aide offert par l'État, qui ne garantit un interprète que 40 heures par année, et ce, seulement lorsque le bénéficiaire réussit à faire valoir ses droits à travers la lourde bureaucratie russe.

La section moscovite compte déjà 500 adhérents. D'autres viennent d'être créées à Saratov et Oufa et une troisième le sera bientôt à Ekaterinbourg. Andreï Melnikov attend que ces sections régionales soient assez importantes avant d'y ouvrir des commerces où les sourds pourront lui rapporter des revenus. «Actuellement, j'y construis mon réseau de consommateurs», dit-il. Éventuellement, il voudrait également étendre sa sphère de services à d'autres types de handicapés, comme les aveugles ou les amputés.