La Révolution tranquille était porteuse d'un idéal: faire du Québec une société égalitaire, ce qui ne veut pas dire un milieu communiste, mais un coin de terre où l'on pouvait prétendre qu'il y avait égalité des chances de réussite.

Cela a donné lieu à la démocratisation de l'accès à l'école et à l'enseignement supérieur, à la création de l'assurance hospitalisation, de l'assurance santé, de l'assistance juridique, des garderies subventionnées, des congés parentaux, du Régime des rentes, alouette!

Mais il y a maintenant un demi-siècle que le «Maîtres chez nous!» de Jean Lesage a tonné. Depuis 30 ans, la conception néolibérale de l'État et de l'économie en général prévaut sur la providentielle qui avait pris une dérive bureaucratique. L'idéal égalitaire a-t-il été battu en brèche pour autant?

L'Institut du Nouveau Monde a choisi de consacrer le dossier principal de L'état du Québec 2011 à cette question. En une quinzaine d'articles tous plus intéressants les uns que les autres, signés par une vingtaine de chercheurs de plusieurs horizons, le dossier permet d'aborder ce sujet sous plusieurs angles et points de vue, bien que la mouvance générale soit de centre gauche.

«La réponse claire et tranchée espérée a plutôt fait place à un portrait global en demi-teintes, explique Miriam Fahmy, directrice de cet ouvrage collectif. C'est là le signe d'un examen bien fait, dit-on!»

En fait, le Québec serait plus égalitaire que les autres provinces, plus même que les pays anglo-saxons, en particulier pour combattre la pauvreté. Il est par contre distancé par plusieurs pays européens et il a même perdu une certaine avance face au Royaume-Uni et à l'Australie.

Selon le regretté Paul Bernard et Hicham Raïq, «le Québec dispose bien d'une marge de manoeuvre à l'intérieur du Canada. Dans ses choix stratégiques, il ne tolère pas qu'une tranche de sa population soit complètement exclue par la pauvreté aiguë», celle-ci étant définie comme ayant un revenu en deçà de 30% du revenu médian.

Avec une méthodologie différente, Pierre Brochu, Paul Makdissi et Lynn Taohan de l'Université d'Ottawa en arrivent à des conditions analogues.

Mythe de la taxation

Luc Godbout et Suzie St-Cerny, de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke, pourfendent le mythe voulant que la société québécoise soit la plus taxée parmi les économies avancées. Vrai, l'impôt sur le revenu des particuliers y est le plus élevé du G7. Mais ce n'est qu'une des composantes de la charge fiscale nette qui tient compte aussi des cotisations de sécurité sociale à la charge d'un ménage et les prestations en tout genre qu'ils reçoivent. «La charge fiscale nette des Québécois est plus faible que la moyenne du G7», calculent-ils. Cela est particulièrement vrai pour les ménages avec enfants de la classe moyenne.

Gaétan Breton s'est penché sur les accommodements fiscaux faits aux plus nantis et sur la fiscalité des entreprises. Il démontre que l'abaissement de l'impôt sur le revenu des sociétés, jumelé à une augmentation des taxes sur la masse salariale pour financer les congés parentaux ou la recapitalisation du Régime des rentes, profite avant tout à la grande entreprise, car c'est la PME qui embauche le plus d'employés. «Il s'agit d'une incitation à diminuer le nombre d'emplois», déduit-il.

Mesures du bonheur

Alain Noël met en lumière que des prestations d'aide sociale moins généreuses pour les personnes seules afin de les inciter à retourner sur le marché du travail ne donnent pas les résultats escomptés. L'inverse se vérifie même. Simon Langlois, de l'Université Laval, nous étonne avec les nouvelles mesures scientifiques du bonheur et de la qualité de vie qui ignorent des concepts comme le PIB ou le revenu personnel disponible.

À partir du rapport Stiglitz présenté en 2009 au gouvernement français, il nous annonce que la fondation Atkinson et Statistique Canada dévoileront en cours d'année un indice canadien de bien-être conçu à partir de mesures objectives (revenus, emplois, santé, etc.) et subjectives (aspirations, engagements civiques, culture, etc.).

Même si des bris provinciaux ne sont pas prévus, il sera bon d'explorer si le Québec est plus ou moins égalitaire à ce chapitre.

Comme chaque année, l'ouvrage comprend aussi beaucoup d'articles dans les autres sphères de vie québécoise.

Grâce à la collaboration de l'Association francophone pour le savoir (ACFAS), le lecteur prendra le pouls de la recherche au Québec, sans laquelle nous n'aurons plus les moyens de l'idéal égalitaire porté par l'équipe du tonnerre de 1960.

L'état du Québec 2011. Collectif sous la direction de Miriam Fahmy de l'Institut du Nouveau Monde. Boréal, 2011, 570 pages.