Dans le monde complexe et incertain dans lequel évoluent les entreprises de nos jours, l'importance des connaissances comme composantes essentielles de la compétitivité est de plus en plus évidente. La gestion des connaissances est une préoccupation majeure des gestionnaires: comment acquérir, retenir, transférer et appliquer des connaissances de façon à faire mieux que la concurrence? Les connaissances de l'entreprise peuvent bien sûr se développer à l'interne.

Cependant, le processus de création de connaissances à l'interne est risqué, coûteux et souvent insuffisant puisque la complexité des nouvelles technologies fait en sorte que les entreprises sont incapables de maîtriser toutes les connaissances nécessaires pour la production de biens et de services. Ainsi, il est essentiel pour les entreprises de gérer la connaissance au-delà de leurs frontières et de faire participer leurs partenaires d'affaires dans leur processus d'apprentissage. En particulier, les relations client-fournisseur dans la chaîne logistique offrent un contexte propice à l'apprentissage interorganisationnel.

Longtemps confinée à un mécanisme de production et de distribution, la chaîne logistique est désormais considérée comme un lieu d'échange et de propagation de connaissances entre les différents partenaires d'affaires. De plus en plus, les échanges client-fournisseur vont au-delà des données facilement transmissibles tels les ventes, les prévisions, les promotions et le niveau de stocks, pour inclure des échanges de savoir-faire, beaucoup plus difficiles à transférer entre entreprises. Par exemple, des donneurs d'ordres s'investissent dans le développement de leurs fournisseurs afin d'améliorer leur performance et ainsi augmenter la valeur des produits achetés.

Les partenaires dans la chaîne échangent des connaissances sur des techniques de production telles que la gestion intégrale de la qualité (TQM) ou la production épurée (lean). Ce savoir-faire est très concret et dépend fortement du contexte de production dans lequel on l'applique. Les constructeurs automobiles, spécialement les japonais, sont très actifs dans le développement fournisseur. Nos recherches dans le secteur aéronautique nous indiquent que les donneurs d'ordres québécois s'investissent aussi dans l'amélioration des compétences de production de leurs fournisseurs.

Nombreux bénéfices

Les bénéfices des échanges de connaissances client-fournisseur sont nombreux. Pour le client, l'amélioration de la performance du fournisseur se traduit par de meilleurs produits, moins chers, et dans des conditions plus favorables en matière de délais de livraison. Le développement fournisseur permet également d'accroître le bassin de fournisseurs compétents, ce qui diminue les risques pour l'acheteur. Finalement, le partage de connaissances ne se fait pas exclusivement dans une seule direction: les clients peuvent aussi apprendre de leurs fournisseurs de meilleures façons de faire. Du côté des fournisseurs, un échange de connaissances réussi avec un client permet de devenir plus performant et ainsi augmenter les volumes de ventes pour le client avec lequel on fait le partage et éventuellement pour d'autres clients actuels ou potentiels.

Et les risques?

Si les bénéfices du partage des connaissances dans la chaîne sont évidents, les risques ne sont pas négligeables. Le transfert de connaissances est très difficile. En dépit des efforts des deux entreprises concernées, il se peut que ni le client ni le fournisseur n'améliorent leur performance. Comment augmenter les chances d'un transfert réussi? La confiance et l'engagement sont des qualités essentielles de la relation client-fournisseur. On ne s'engage dans des efforts de partage des connaissances qu'avec un très petit nombre de partenaires dans la chaîne.

Le choix du partenaire est donc crucial. En plus d'avoir une relation proche, il est aussi nécessaire de mettre en place des mécanismes pouvant soutenir l'échange de savoir-faire. Les rencontres face à face, de longue durée et sur le plancher sont celles qui ont le plus de chances de permettre l'échange. Le partage de connaissances demande alors des efforts soutenus des deux partenaires. Il y aussi les risques de fuites de connaissances vers la concurrence.

Puisque le fournisseur peut travailler également pour d'autres clients, il est possible qu'il applique les connaissances résultant des efforts d'un de ses clients pour des produits et services destinés à d'autres clients. Le fournisseur, pour sa part, risque de partager des informations qui pourraient être utilisées de façon opportuniste par son client, notamment sur ses coûts de production. Seules la qualité de leur relation et leur dépendance mutuelle peuvent les protéger partiellement d'éventuels comportements opportunistes de part et d'autre.

Pour maintenir leurs avantages concurrentiels, les entreprises doivent profiter de toutes les occasions d'apprentissage offertes. Les partenaires dans la chaîne logistique sont souvent très bien placés pour devenir des sources de connaissances. Les risques des efforts de partage de connaissances sont importants, mais les bénéfices potentiels nous indiquent qu'il s'agit d'une voie à explorer.

Claudia Rebolledo est professeure en gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal.