Couvés durant l'âge d'or de Nokia, les ingénieurs et «cerveaux» du géant finlandais des téléphones découvrent, sonnés, la brutalité des licenciements de masse qui les guettent après l'alliance avec l'américain Microsoft.

«Je n'ai jamais vraiment pensé à ce que je ferais si je perdais mon emploi», concède Sami Sallmén, 36 ans et presque toute sa carrière passée au sein du numéro un mondial du secteur. «Je ne sais pas. J'espère pouvoir rester chez Nokia», dit-il.

Dans son centre de recherche et développement d'Espoo, à quelques kilomètres à l'ouest d'Helsinki, cet ingénieur et des centaines d'autres travaillent sur une technologie désormais condamnée: le système d'exploitation Symbian, que Nokia doit progressivement abandonner au profit du Windows Phone de Microsoft.

«J'étais là pour chaque étape de la vie de Symbian. Je n'ai vraiment pas envie qu'on l'enterre, mais la décision a été prise, et il faut juste s'y faire», dit-il, résigné.

Le 11 février dernier, à Tampere, à 150 kilomètres plus au nord, un millier de développeurs de Symbian ont débrayé en signe de protestation, le jour de l'annonce du partenariat avec Microsoft.

«On a écouté la nouvelle stratégie et (...) on a réalisé que les médias en savaient beaucoup plus que nous, que le gouvernement en savait plus que nous et que c'était tout simplement injuste», raconte Kalle Kiili, ingénieur et représentant syndical du site.

«On a les meilleurs employés au monde, le meilleur équipement, les meilleurs cerveaux et la plus grande motivation. Alors, qui a tout gâché? Il faut poser la question: qui a gâché tout le potentiel qu'il y avait ici?»

Nokia n'a pas précisé le nombre de licenciements, mais les suppressions d'emploi seront «substantielles», en Finlande et à l'étranger selon son PDG Stephen Elop, récent transfuge de Microsoft.

Les syndicats craignent 3000 à 4000 suppressions de postes, voire 6000 dans le pire des cas pour la seule Finlande, où Nokia emploie environ 20 000 personnes.

Après deux ans de grosses difficultés dues à la percée d'Apple, de RiM et de Google sur le créneau lucratif des téléphones intelligents, beaucoup se doutaient que le glas allait sonner chez Nokia.

«On savait tous que Symbian ne se vendait pas et que le développement était lent. Je pense qu'on se doutait que quelque chose de ce genre arriverait», explique Juha Hara, un ingénieur d'Espoo de 34 ans, entré chez Nokia à 22 ans.

Ce jeune cadre pense que les licenciés pourront trouver du travail ailleurs.

Certains collègues parlent également de créer leurs propres start-ups, dit-il, mais «personnellement, je pourrais être intéressé de voir comment les choses se font du côté de la Silicon Valley, pour changer».

La Californie, déjà cerveau de l'informatique mondiale, s'impose comme la nouvelle capitale des téléphones, devenus de quasi-ordinateurs portables. Avec un climat et des impôts plus attractifs qu'en Finlande...

Mais pour le pays nordique, où Nokia est de loin la plus grosse entreprise et a un poids économique considérable depuis qu'il a pris la place de numéro un mondial de son secteur en 1998, «ce serait une catastrophe si Microsoft ne partageait pas des emplois de programmation avec Nokia», souligne Pertti Porokari, président du Syndicat des Ingénieurs professionnels.

Pour Kalle Kiili comme pour d'autres, la situation actuelle est «un gâchis».

«On ne nous a pas laissé l'espace pour travailler en paix, il y a eu des réorganisations incessantes (...) et maintenant on change tout encore une fois et à la fin ce seront toujours les mêmes qui décideront», peste-t-il.