La ville de Fortaleza, au nord-est du Brésil, est située dans une région qui est à la fois l'une des plus riches du monde en matière de biodiversité et l'une de celles où les inégalités sociales et la pauvreté sont les plus grandes. C'est dans ce contexte que l'entreprise d'énergie Coelce, filiale d'une multinationale européenne, a décidé de créer des projets associés à son métier principal, la distribution d'énergie, qui s'adresseraient aux plus pauvres tout en restant profitables pour l'entreprise.

En 2006, Coelce a lancé un programme de récupération des déchets collectés qui sont rémunérés sous forme de rabais sur la facture d'énergie des clients. Le projet fonctionne comme suit: le consommateur apporte les déchets recyclables à un point de collecte géré par Coelce, une association locale et une entreprise de recyclage; les déchets sont ensuite vendus à un prix de marché à Coelce qui les revend directement à l'entreprise de recyclage; finalement, au lieu de recevoir de l'argent, le consommateur obtient un rabais sur sa facture d'énergie mensuelle. Pour mettre le projet en place, l'entreprise a installé plusieurs points de collecte dans la ville de Fortaleza.

Trois défis

Ce programme répond à trois défis des régions en voie de développement: une utilisation chaotique de l'électricité, le plus souvent illégale et sans paiement; des problèmes de pollution à grande échelle dans les zones urbanisées; troisièmement, la nécessité de soutenir l'intervention du gouvernement qui vise à rendre l'électricité accessible aux personnes les plus pauvres par des programmes.

Cette initiative a permis plusieurs avancées. D'abord, de nombreuses personnes qui n'avaient jamais utilisé l'électricité légalement ont pu officialiser leur situation, étant désormais en mesure de payer leur facture grâce à leurs déchets recyclables. L'entreprise d'énergie augmente ainsi sa base de clients et, ce faisant, répond à la demande du gouvernement d'une inclusion sociale par l'accès à l'électricité. Ensuite, Coelce a contribué à la sensibilisation environnementale de la population, car plusieurs clients pensent désormais à recycler, ce qui facilite le nettoyage des rues et diminue les risques d'inondation pendant les périodes de pluie. Finalement, pour de nombreux clients, la légalisation de leur statut de consommateur d'énergie correspond à une véritable réinsertion sociale. Ils ont reçu grâce à ce programme un premier document «officiel» avec nom et adresse qui leur donne accès à de nombreux services sociaux dont ils étaient auparavant exclus. Il n'est donc pas surprenant que ce programme ait reçu le World Business and Developpement Award (2008) de l'ONU pour sa contribution aux «objectifs du millénaire».

Responsabilité sociale et pays en voie de développement

Même si le débat sur les changements climatiques reste une priorité, les entreprises canadiennes sont de plus en plus nombreuses à faire progresser leurs activités dans les pays en voie de développement (PVD) du Sud dans lesquels les problèmes les plus urgents restent ceux de la pauvreté et de l'absence d'occasions économiques. La question de la Responsabilité sociale des entreprises (RSE) dans les PVD les concerne donc étroitement. À cet égard, il est important de rechercher un équilibre entre, d'une part, une forme de RSE encadrée par l'action gouvernementale (RSE régulée) et, d'autre part, une forme de RSE volontairement mise en oeuvre par les entreprises (RSE stratégique).

D'un côté, la RSE régulée renvoie à l'imposition de normes et de règles sur l'action des entreprises. Le gouvernement a le pouvoir d'établir des règles sur les plans environnemental, social et économique dans les différents secteurs et ainsi de pousser les entreprises à s'engager dans ces actions. D'un autre côté, la RSE stratégique a pour objectif la création de valeur pour l'entreprise à partir de projets qui tiennent compte des dimensions environnementales et sociales, mais qui contribuent aussi à construire un avantage compétitif pour l'entreprise. La RSE stratégique ouvre ainsi un espace pour la créativité managériale en suscitant l'émergence de partenariats avec différents acteurs de la société civile pour la conception et la mise en oeuvre de produits et processus innovants.

En somme, l'action gouvernementale impose de nouvelles normes environnementales et sociales qui stimulent l'adoption d'innovations par les entreprises. Cela est d'autant plus efficace quand les entreprises démontrent une volonté de s'engager de manière créative dans la transformation des problèmes en occasions de développement. L'équilibre entre ces approches est incontournable en matière de RSE dans les PVD. L'exemple du projet mis en place par Coelce au Brésil illustre le potentiel de cette approche pour stimuler le développement économique, social et environnemental.

Luciano Barin Cruz est chercheur au sein du Groupe de recherche interdisciplinaire en développement durable (GRIDD) et du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES).