Nous consommons trop. L'aspiration légitime des pays émergents au niveau de vie occidental exercera trop de pression sur notre biosphère. Si nous ne freinons pas le rythme de croissance mondial estimé en moyenne à 4% par année, alors nous nous dirigeons vers «une crise écologique qui correspond à un moment décisif de l'histoire de l'humanité», prédit Hervé Kempf.

Rien d'original dans cette prophétie, mais la contribution de son essai L'oligarchie ça suffit, vive la démocratie est de faire ressortir que l'élite dirigeante paraît incapable de négocier le virage écologique. Kempf consacre la majeure partie de son essai à montrer que notre démocratie est de plus en plus investie par ceux qu'il appelle les oligarques. La démocratie n'a plus que les apparences de l'idéal républicain, c'est-à-dire un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.

Depuis les années 80 et la chute du communisme, les États sont dirigés par une élite au service du grand capital. Ici encore, rien de nouveau dans le constat de Kempf. Et quelle est la caractéristique fondamentale de cette oligarchie qui parvient à préserver les apparences de la démocratie pour mieux régner? Sa cupidité maladive, répond Kempf.

C'est ce qui l'empêcherait de bien saisir l'enjeu de la crise écologique qui pointe.

Pour mieux présenter l'oligarchie, le journaliste en environnement du Monde fait ses choux gras du copinage entre bureaucrates, capitalistes et élus, du jeu de portes tournantes entre ces castes.

Il rappelle les nombreux cas de corruption débusqués par la presse dont il déplore par ailleurs la concentration dans les mains de quelques oligarques, soucieux de manipuler l'opinion dans le sens de leurs intérêts. Il s'indigne en particulier du peu de place faite aux enquêtes axées sur le pillage de l'environnement au profit d'une minorité qui sait amadouer les élus.

Il s'attarde aussi beaucoup à l'engourdissement des citoyens, qu'il attribue à la trop grande pénétration de la télévision qui les conditionne aux valeurs oligarques: individualisme et argent. La métaphore sportive et la téléréalité sont au coeur de ce processus, soutient-il.

«Le succès massif, brillant et incontestable du capitalisme depuis 1980 a été de généraliser à un point jamais vu le repli sur soi, le déni du collectif, le mépris de la coopération, la concurrence ostentatoire», affirme-t-il.

En contrepoint, les oligarques font preuve de cohésion. À Davos ou dans d'autres forums cénacles, ils établissent leurs objectifs au-delà des frontières nationales d'où ont émergé les expériences démocratiques.

Cela implique un appareil répressif grandissant, comme en fait foi, par exemple, le récent sommet du G20 à Toronto.

Kempf soutient que c'est une grande illusion propagée par les oligarques que de faire de l'économie l'objet quasi exclusif de la démocratie.

Ni la croissance ni le progrès technologique ne pourront permettre à l'humanité d'accéder au niveau de vie occidental tel qu'il est aujourd'hui sans compromettre fatalement notre écosystème.

Pour ne pas refuser les aspirations légitimes des autres nations, alors il faudra se résoudre à ce que notre niveau de vie stagne durant plusieurs décennies.

Mais les Occidentaux, en particulier l'ensemble des classes moyennes, ne pourront accepter pareil sacrifice si c'est pour davantage enrichir des oligarques chinois, indiens ou russes. «La réduction de l'écart des richesses devra s'opérer par un abaissement important du haut», prône-t-il. Cela vaut pour l'ensemble du monde, mais aussi à l'intérieur des pays où il s'est partout élargi depuis les années 80.

Voilà pourquoi l'essayiste estime qu'il faut se réapproprier l'exercice démocratique de manière à réorienter l'activité économique «vers des occupations à moindre impact écologique et plus grande utilité sociale».

Si ce virage était réussi, alors il deviendrait même possible de socialiser le système financier qui a failli à la tâche et de redistribuer la part de richesses que les oligarques se sont appropriée depuis 30 ans.

Bref, à la cupidité et à l'individualisme, Kempf oppose la démocratie sans croissance et la vertu pour changer le destin écologique. «Vertu, un autre nom de l'humanité», conclut-il.

Souhaitons-lui (nous?) bonne chance!

Hervé Kempf. L'oligarchie ça suffit, vive la démocratie. Seuil. 2011. 183 pages.