Comme prévu, la Chine a augmenté une nouvelle fois son taux directeur pour freiner la surchauffe inflationniste, mais cela a eu peu d'effet sur le prix des produits de base et sur le marché des changes.

Le dollar canadien, qui est très sensible aux fluctuations des prix des matières premières, s'est maintenu au-dessus de la parité avec le billet vert, comme c'est le cas depuis le début de l'année.

Plusieurs sont d'avis qu'il faudra vivre avec cette réalité encore plusieurs mois, voire quelques années, même s'il s'agit d'un taux de change surévalué.

Mesuré en parité de pouvoir d'achat (PPA) selon la méthodologie de l'OCDE, le huard devrait se rapprocher des 84 cents US. Autrement dit, pour un panier de provisions équivalent, l'Américain payerait 84$ ce qui coûte 100$ au Canadien.

Bien qu'utile, la mesure de PPA a ses limites. Benjamin Reitzes, économiste chez BMO Marchés des capitaux, estime plutôt que la juste valeur du huard se rapproche plutôt des 93 cents US lorsqu'on tient compte du prix des biens de base, des taux d'intérêt et des perspectives d'inflation.

«Plusieurs prévisionnistes (dont nous-mêmes) sommes d'avis que le dollar canadien repassera sous la parité d'ici quelques années, écrivait-il récemment. Dans un avenir plus immédiat, le huard pourrait s'envoler davantage. Les monnaies sont réputées dévier significativement de leur PPA ou de leur juste valeur pendant de longues périodes.»

Le dollar canadien en est un bel exemple, lui qui est tombé jusqu'à 61,75 cents US le 31 janvier 2002. À l'époque pourtant, le Canada faisait envie, puisque tant le solde de son compte courant (l'ensemble de ses entrées et sorties de fonds) que ses finances publiques étaient en surplus.

«À long terme, la devise d'un pays va bouger en fonction de sa compétitivité, rappelle François Barrière, vice-président, Marchés internationaux, à la Banque Laurentienne. La compétitivité d'un pays dépend de plusieurs facteurs, mais on peut en déceler la tendance au travers des statistiques du compte courant.»

Or, celui-ci s'est considérablement détérioré depuis la récession. Son déficit équivalait à 3,7% du produit intérieur brut (PIB), au troisième trimestre, un creux de 20 ans, déplorait la Banque du Canada, dans son dernier Rapport sur la politique monétaire. Aux États-Unis, le déficit du compte courant équivaut à 3,1% du PIB.

Le solde va s'améliorer à mesure que la balance commerciale va se redresser avec la reprise américaine. Mais ce sera sans doute insuffisant pour rétablir un excédent commercial, qui plus est à ses niveaux d'antan. Tout cela à cause de l'affaiblissement du secteur manufacturier qui paraît incapable de s'adapter aux changements de la réalité économique américaine et de rétablir sa compétitivité avec une monnaie forte.

«Dans quelques mois ou quelques trimestres, la réalité va nous rattraper», prédit M. Barrière.

D'ici là, plusieurs éléments continuent de doper le huard: la forte corrélation de notre monnaie à l'évolution des prix des produits de base dont le gaz naturel, la différence entre les taux d'intérêt directeurs canadien et américain (1% comparativement à près de 0% avec une perspective d'élargissement de l'écart cette année), la santé relative de nos finances publiques et la solidité de nos banques, enfin la tendance baissière à long terme du billet vert.

Ce sera donc quand les investisseurs étrangers prendront la juste mesure de l'évolution du compte courant qu'ils délaisseront notre monnaie, ce qui va l'affaiblir.

Ou encore, si les tensions géopolitiques devaient continuer de s'aggraver, à la faveur de l'envolée des prix de l'énergie et des aliments. «Il est peu probable que les conflits sociaux qui ont éclaté en Jordanie, en Égypte, en Tunisie et au Yémen resteront confinés à ces seuls pays», prévenaient vendredi Gorica Djeric et Derek Holt, économistes chez Scotia Capitaux.

Ces pays accumulent les déficits budgétaires tout en subventionnant l'essence et les aliments, ce qui devient à la fois prohibitif pour les finances publiques, explosif faute de libertés démocratiques, et bénéfique pour le billet vert qui retrouve momentanément son rôle de monnaie refuge.

Moins vite s'intensifieront les tensions et plus longtemps le huard volera au-dessus de la parité, quitte à imiter Icare.