Plus de 900 nouveaux journalistes embauchés depuis un an. Un réseau de 800 sites de nouvelles locales disséminé dans les petites villes américaines. Et maintenant, un portail d'information hautement crédible - le Huffington Post -, acquis au coût de 315 millions de dollars. AOL (AOL) est en voie de devenir un géant du journalisme 2.0 aux États-Unis.

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Après la crise, la renaissance? AOL fait le pari que l'information peut redevenir un secteur très lucratif aux États-Unis.

Le vieux routier de l'internet a annoncé hier l'acquisition pour 315 millions US du populaire site Huffington Post, créé il y a tout juste cinq ans par Arianna Huffington avec un investissement initial de 1 million de dollars. La transaction permettra à AOL d'obtenir d'un seul coup une aura de crédibilité dans le secteur de l'information. Et, espèrent ses dirigeants, de générer de juteux bénéfices.

«Ils voient l'information, particulièrement celle diffusée sur le web, comme un secteur où la croissance et les profits seront au rendez-vous, a souligné à La Presse Affaires Michael Mandel, ancien économiste en chef de Business Week et spécialiste des médias américains. Il est trop tôt pour savoir s'ils voient juste ou pas, mais c'est ce que cette transaction signifie.»

AOL s'est séparé en 2009 de son partenaire Time Warner, avec qui il avait entamé une fusion ruineuse au tournant du millénaire. Depuis le divorce, le groupe s'est lancé dans une fulgurante série d'acquisitions pour se réinventer en acteur majeur du journalisme 100% web.

L'initiative la plus visible d'AOL s'appelle Patch. Il s'agit d'un réseau de 800 microsites d'information, qui vise à «combler le vide» laissé dans les petites villes par la disparition de plusieurs journaux locaux ces dernières années, a expliqué Warren Webster, président de Patch Media, dans un courriel.

La structure de coûts de Patch est on ne peut plus maigre. Dans chacune des communautés où le site est présent, un seul journaliste-éditeur est chargé de recueillir l'information, d'écrire les textes, de prendre les photos et de réaliser des vidéos. Le professionnel - qui travaille à partir de son domicile pour un salaire de 35 000$ à 45 000$ - recourt à des pigistes au besoin.

AOL mise sur les petits annonceurs locaux pour générer des recettes publicitaires. À ce jour, Patch ne dégagerait aucun profit.

«Leurs coûts d'exploitation sont très bas, mais leurs revenus le sont aussi, explique Bill Grueskin, doyen responsable de l'enseignement à la Columbia University Graduate School of Journalism de New York. Mais il faut leur donner du temps: ça fait seulement quelques mois qu'ils sont en activité à une telle échelle.»

Montée rapide

Il faut dire que les choses peuvent exploser - ou s'effondrer - très vite dans le secteur de l'information internet. Le Huffington Post, par exemple, est parti du néant en 2005 pour devenir un média hautement crédible aux États-Unis, consulté par 25 millions de visiteurs uniques tous les mois.

Le site, intimement lié au Parti démocrate, a atteint la profitabilité pour la première fois en 2010. Il devrait générer des revenus de 50 millions cette année et de 100 millions l'an prochain avec des marges bénéficiaires de 30%, a indiqué hier Arthur Minson, chef des finances d'AOL, pendant une téléconférence.

Au fil des ans, de nombreuses vedettes de la politique et des arts, de Barack Obama à Madonna, ont signé des textes sur le blogue du Huffington Post. La fondatrice est elle-même devenue une commentatrice politique très demandée aux États-Unis. En plus de s'enrichir considérablement, Arianna Huffington deviendra présidente et rédactrice en chef du nouveau groupe médiatique d'AOL, qui inclut notamment les sites Engadget, TechCrunch, Patch, Seed et MapQuest.

Une fois la fusion entamée, les sites d'AOL attireront 117 millions de visiteurs uniques par mois aux États-Unis et 270 millions dans le monde, selon l'entreprise. Le principal défi sera de générer un flux croissant de revenus publicitaires, au fur et à mesure que les annonceurs délaisseront les médias imprimés traditionnels.

Le Huffington Post a déjà réussi à lier des alliances commerciales avec de grosses corporations, dont Coca Cola et Johnson&Johnson. L'alliance avec AOL permettra d'accélérer la cadence, espère Arianna Huffington. «C'est comme débarquer d'un train à haute vitesse pour monter à bord d'un avion supersonique», a-t-elle dit aux analystes financiers.

La transaction, finalisée avant-hier au Cowboys Stadium d'Arlington pendant le Super Bowl, a lieu après à peine un mois de pourparlers entre les deux parties. AOL allongera 300 millions en argent et le reste en actions pour mettre la main sur le site.

L'annonce survient à peine une semaine après qu'AOL eut fait état d'une baisse de 26% de ses revenus totaux au quatrième trimestre de 2010, à 596 millions US. Les recettes publicitaires des différents sites du groupe ont enregistré une chute encore plus marquée - 29% - tandis que son secteur traditionnel d'abonnements à l'internet téléphonique a continué de perdre des plumes.

Le même jour, New York Times Co., qui publie le prestigieux quotidien, annonçait une chute de 26% de ses profits en raison d'une baisse de ses recettes publicitaires et de son tirage.

Les investisseurs d'AOL ont réagi quelque peu négativement au rachat d'Huffington Post, la plus importante transaction du groupe depuis son divorce d'avec Time Warner. Le titre a perdu 3,4% hier à la Bourse de New York, à 21,19$US. L'action a reculé de près de 11% depuis le début de l'année.