Faire le plein coûte tellement plus cher depuis l'automne que la flambée du prix de l'essence explique en apparence à elle seule la poussée de l'inflation.

De novembre à décembre, la progression annuelle des prix à la consommation est passée de 2,0% à 2,4%, a indiqué hier Statistique Canada.

En excluant l'essence, l'Indice des prix à la consommation (IPC) aurait progressé de 1,8% seulement.

L'inflation de base (IPCX), qui exclut huit composantes jugées plus volatiles comme l'essence, le gaz naturel ou les fruits et légumes ainsi que l'effet des taxes indirectes, a quant à elle avancé de 1,5%, soit un dixième de plus qu'en novembre.

Pour l'ensemble du trimestre, elle a cheminé à 1,6% en rythme annuel, ce qui correspond exactement au plus récent scénario de la Banque du Canada, dont la politique monétaire repose beaucoup sur la tendance de l'IPCX.

La marche récente des prix divise beaucoup les experts, selon les séries de données qu'ils examinent.

S'ils privilégient les données non désaisonnalisées, ils soulignent que l'IPC n'a pas bougé, tandis que l'IPCX a même reculé, de novembre à décembre. Seul le rythme annuel a bondi.

Cette poussée sera de courte durée en raison d'importants effets de base qui masqueront la tendance réelle de l'évolution des prix au cours des prochains mois.

Dans la mesure annuelle de l'inflation de janvier, on aura éliminé le recul des prix de décembre 2009 qui a accentué le taux d'inflation de décembre 2010. Le taux d'inflation reculera forcément.

En avançant dans l'année, l'effet de la poussée du prix de l'essence diminuera aussi puisqu'on ne s'attend pas à ce que le cours du pétrole grimpe beaucoup en 2011. Le baril d'or noir se négociait à un peu plus 90$US en début d'année, mais à moins de 87$US, hier.

«La seule pression inflationniste significative viendra sans doute du prix des aliments», prédit Diana Petramala, économiste chez TD. Ils ont d'ailleurs augmenté de 0,5%, selon les données brutes, de novembre à décembre.

«L'inflation de base restera docile à ses niveaux actuels la majeure partie de l'année, en raison de la force du huard qui agit fermement sur les coûts importés», renchérit Douglas Porter, économiste en chef délégué chez BMO Marchés des capitaux.

Un autre effet de base poussera à la baisse les prix au cours des prochains mois. La tenue des Jeux olympiques d'hiver à Vancouver en février avait provoqué un bond inédit des prix dans la restauration et l'hôtellerie. Cette augmentation inusitée disparaîtra du calcul annuel de l'inflation, à partir de mars et entraînera sa chute momentanée.

Pour éviter d'être embrouillés par les effets de base, plusieurs économistes préfèrent scruter les données désaisonnalisées et leur évolution des trois derniers mois. Le tableau change d'aspect.

Durant l'automne, l'IPC a progressé de 4,9% en rythme annuel, et l'IPCX, de 2,1%. Dans les deux cas, c'est plus que la cible visée par la Banque du Canada. Son scénario prévoit que l'IPCX atteindra les 2%, seulement à la fin de 2012, même si l'IPC évoluera un peu au-dessus des 2% presque tout au long de 2011.

Au fond de ce scénario réside le postulat selon lequel il existe encore beaucoup de capacités de production inutilisées dans l'économie, ce qui freine la marche des prix.

Tous ne partagent pas cette vue. Dans le numéro du 24 janvier de L'Hebdo économique, publié par le service économique de la Banque Nationale, Marc Pinsonneault fait ressortir que la récession a entraîné une forte diminution de l'intensité d'usage du capital fixe manufacturier. Autrement dit, certaines usines fonctionnent avec un quart de travail seulement au lieu de deux, voire trois. Si on ajoute à cette diminution la destruction ou le démantèlement de capital fixe (comme la fermeture de la raffinerie Shell), on observe un recul de 12,1% de la capacité manufacturière canadienne comparativement à 1,1% seulement de l'américaine.

Moins cette tendance sera réversible et plus vite l'économie canadienne aura retrouvé son plein potentiel. «La réponse à cette question peut avoir une incidence sur l'évaluation des pressions inflationnistes au Canada», conclut l'économiste.

Ses collègues Yanick Desnoyers et Matthieu Arseneau sourcillent donc sans surprise devant les données de l'inflation en décembre. Si le rythme des prix de base devait garder d'ici juillet à sa cadence mensuelle de 0,17% observée depuis octobre, ils «pourraient atteindre la cible bien avant la plus récente projection de la Banque du Canada», évaluent-ils.