Voir un chef d'entreprise demeurer en poste malgré son âge avancé peut sembler inspirant. Mais quand l'entrepreneur en question s'entête à demeurer en poste, les dommages peuvent être considérables. C'est du moins l'avis de Pierre-André Julien, professeur émérite et fondateur de l'Institut de recherche sur les PME (INRPME) de l'Université du Québec à Trois-Rivières.

«Ce sont bien souvent des gens très efficaces, qui ont de la drive. Ça ne leur tente donc pas de quitter leurs fonctions et rester à ne rien faire chez eux. S'ils demeurent dans l'entreprise pour faire profiter de leur expérience, c'est tant mieux. Mais ça devient dangereux quand l'entrepreneur prend trop de place et qu'il empêche l'entreprise d'avancer», explique M. Julien.

Un gestionnaire de fonds connu a déjà affirmé que Karel Velan, 92 ans, aurait dû quitter le navire depuis longtemps. Même si ses trois fils Tom, Pierre et Ivan assurent la relève de l'entreprise, on raconte que le fondateur de Velan aurait causé du tort à la multinationale en prenant de mauvaises décisions à un âge aussi avancé.

A contrario, certains journalistes ont déjà écrit que le pharmacien Jean Coutu, 83 ans, n'a pas eu le choix de revenir s'impliquer dans son entreprise en 2005 après que son fils François Jean eut connu des ratés dans ses projets d'expansion aux États-Unis en faisant l'acquisition des pharmacies Eckerd.

Une chose est certaine, ce type de comportement n'est observable que dans les entreprises familiales, croit Danny Miller, professeur à HEC Montréal. «Choisir de demeurer dans son entreprise est quelque chose de très humain. L'entrepreneur a bâti un patrimoine qu'il va céder à sa famille. Il veut protéger ce patrimoine et c'est normal», explique celui qui est également directeur du Centre international des familles en affaires.

M. Miller a écrit avec sa conjointe Isabelle Breton Miller le livre Managing for the Long Run, dont la version française (Réussir dans la durée) vient d'être publiée. On y apprend les stratégies de plusieurs entreprises familiales qui ont su traverser le temps. Le couple d'universitaires y parle abondamment d'entrepreneurs qui sont longtemps demeurés en poste.

«Je crois que la société ne s'en porterait que mieux si tous les entrepreneurs avaient le même souci, la même morale que les dirigeants d'entreprise familiale. Il y aurait alors beaucoup moins de patrons qui demeurent en poste trois ou quatre ans et qui s'enrichissent rapidement avant d'abandonner le navire», fait remarquer Danny Miller.